Prévoyance : quitter la Suisse

Vous êtes muté à l’étranger ? Vous souhaitez découvrir de nouveaux horizons ? Ou vous retournez dans votre pays natal, après quelques années de travail en Suisse ?

Quitter la Suisse pour l’une de ces raisons est assez fréquent et pose un grand nombre de questions sur le niveau de votre retraite. Est-ce que mes années de cotisations AVS sont perdues ? Ai-je le droit de récupérer mes 2e et 3e piliers ? Comment limiter les impôts de sortie ? À quoi penser pour l’avenir de ma prévoyance ?

Autant d’interrogations légitimes auxquelles nous allons essayer de répondre.

Cotiser à différents systèmes sociaux

Si au cours de votre carrière, vous êtes amené à travailler dans plusieurs pays, vous participerez à des stratégies de prévoyance très différente.

Prenons par exemple les cas de la France et de la Suisse. Le premier pays ne fonctionne quasiment que sur un système de répartition tandis que le second offre un mix entre répartition et capitalisation.

Dans une approche de répartition, ce sont les montants de vos cotisations actuelles qui déterminent le niveau de votre allocation de retraite futur. Nous cotisons en général une quarantaine d’années dans une telle structure, sans former d’épargne. En Suisse, le premier pilier (AVS) fonctionne ainsi sur 44 ans de contributions pour les hommes et 43 ans pour les femmes.

L’épargne est plus simple à comprendre : au travers des caisses de pensions et du 3e pilier suisses, vous accumulez un avoir qui vous sera rendu sous forme de rentes mensuelles ou de capital à la retraite.

Au fil du temps et de vos déplacements, vous construisez un puzzle de systèmes dont le tableau final ne vous apparaîtra que dans 20 ans, 30 ans ou plus. Vous avez donc tout intérêt à y accorder un minimum d’attention et de suivi afin de vous éviter des montagnes de formalités administratives la retraite venue. Mon premier conseil : gardez les preuves de vos cotisations.

L’AVS

Vous devriez conserver vos certificats de salaires annuels (reçus en début d’année pour l’année précédente). Ce document recense vos revenus perçus ainsi que le montant de vos cotisations AVS et du deuxième pilier.

Avant de quitter le pays, je vous invite également à commander un extrait individuel auprès de l’AVS. Ce dernier vous permettra de vérifier l’exactitude des salaires cotisants en plus de vous servir comme preuve à archiver. Demandez-le avant de quitter le territoire pour pouvoir échanger (et éventuellement réagir) facilement et rapidement avec l’administration ou avec un ancien employeur. Vous pouvez commander votre extrait en cliquant ici.

Vous pourrez exiger vos prestations AVS au plus tôt deux ans avant l’âge légal de la retraite, soit à 65 ans pour les hommes et à 64 ans pour les femmes. Une rente anticipée (avec un impact négatif sur la rente) peut être demandée à respectivement 63 ans et 62 ans.

Notez que, comme tout système de répartition en occident, les choses sont amenées à fortement évoluer dans les prochaines années. Le vieillissement très prononcé de la population pèsera de plus en plus lourdement sur ce dispositif. Je vous renvoie à ma série d’articles sur le sujet.

Étant donné qu’une rente pleine nécessite 43 ans à 44 ans (femmes, hommes) de cotisations, vous bénéficierez très probablement d’un montant inférieur au maximum possible.

Lorsque vous aurez atteint l’âge légal de départ à la retraite, vous devrez « simplement » vous adresser à l’AVS.

Pensez aussi que les grandes sociétés et les organismes publics peuvent proposer une expatriation avec une affiliation au système de retraite suisse. Renseignez-vous auprès de votre employeur.

L’épargne du deuxième pilier

Dans le deuxième pilier, vous capitalisez chaque mois une fraction de votre salaire avec le concours de votre employeur. Cette épargne s’accumule dans votre caisse de pension et vous rapporte des intérêts – souvent ridicules, mais c’est un autre sujet. 

Lors d’un départ définitif de Suisse, vous pourriez récupérer tout ou partie de votre avoir selon l’endroit où vous élisez domicile.

Tentons de faire simple. Si vous vous installez en dehors de l’Union européenne, vous avez le droit de mettre la main sur 100% de votre capital.  À contrario, en vous établissant en UE, vous aurez l’obligation de laisser en Suisse une portion de votre deuxième pilier jusqu’à votre retraite. Cette partie forme ce que l’on appelle l’avoir minimum selon la Loi sur la Prévoyance Professionnelle (LPP). Vous trouvez ce chiffre sur votre certificat annuel. Ce montant correspond au minimum des cotisations légales que vous avez épargnées. La part excédentaire peut se libérer sans condition d’utilisation. Vous êtes par exemple au bénéfice d’un capital de 100’000.- francs dont 20’000.- dépendant de la LPP, doivent rester en Suisse.

Retenez que ce n’est pas parce que la loi vous permet de prendre tout ou partie de votre deuxième pilier que vous devez le faire… Si vous quittez la Suisse avec 100’000.-, 200’000.- ou 1’000’000.- de francs, vous devriez vous assurer que votre nouveau pays offre les mêmes niveaux de sécurité politique et financière que la Suisse. Avant de retirer votre capital, demandez-vous pourquoi des épargnants du monde entier placent leur fortune en Suisse… Vous pourriez continuer de bénéficier des structures existantes.

Gardez en mémoire qu’indépendamment du lieu où vous emménagez, les conditions de libération valables en Suisse le sont également à l’étranger. Nous trouvons par exemple l’achat de sa résidence principale ou la retraite anticipée de cinq ans avant l’âge légal (65 ans ou 64 ans).

Que faire de mon deuxième pilier ?

Si vous décidez de laisser votre argent en Suisse, vous devrez ouvrir un compte de libre passage auprès d’une banque ou une police de libre passage dans une assurance.

Choisissez un plan qui vous offrira des rendements dans la durée. Réaliser 2% à 5% « bon an, mal an » est raisonnable si vous avez du temps devant vous. Prenez cette thématique au sérieux : 200’000.- placé à 3% entre vos 40 ans et vos 65 ans vaudront 418’000.- à la retraite. Tandis que 200’000.- juste « stockés » à 0% vaudront… 200’000.-. Traduit en termes de rente, c’est un manque à gagner d’environ 10’000.- par année !

Le troisième pilier

Que vous épargniez votre troisième pilier dans une police d’assurance ou sur un compte bancaire, les réflexions qui s’offrent à vous s’apparentent à celles du deuxième pilier. La principale différence est que vous êtes totalement libre de récupérer vos avoirs et ce, peu importe l’endroit où vous vous installerez.

Faites toutefois attention à une utilisation réfléchie de vos contrats d’assurance. Ils devraient être adaptés à votre nouvelle situation. Les rentes et la libération du paiement des primes en cas d’incapacité de gain ne pourront pas toujours être conservées et vous devrez transformer votre contrat de 3A (lié à la retraite) à 3B (libre) puisque vous ne pourrez plus bénéficier des avantages fiscaux suisses.

Un contrat d’assurance conclu récemment (une dizaine d’années) pourrait par exemple être libéré du paiement des primes (vous arrêtez de cotiser et l’argent épargné continue de porter intérêt jusqu’au retrait, généralement la retraite) ou aligné avec votre nouvelle situation. Vous devriez évaluer avant de partir vos besoins nouveaux en termes de prévoyance et de protection familiale afin d’ajuster en conséquence le niveau des cotisations et des prestations.

Pour ce qui est du troisième pilier bancaire, c’est un peu plus simple. Si vous disposez d’une dizaine d’années devant vous, vous devriez l’investir – même dans un plan conservateur – afin de maintenir au minimum la valeur de votre argent dans le temps (combattre l’inflation).

Minimiser les impôts en cas de retrait de ma prévoyance

En retirant l’un ou l’autre de vos piliers, vous serez confrontés au paiement d’un impôt de sortie sur le versement en capital.

Cet impôt est fonction de votre canton de résidence au moment du retrait du capital. Vous avez ici tout intérêt à faire transférer vos avoirs de prévoyance dans un canton qui offre une fiscalité plus avantageuse. À votre départ, vous déciderez librement du canton où votre deuxième pilier sera investi. Cela ne peut évidemment s’effectuer que lors de votre départ, sauf si vous souhaitez vous installer quelques jours à Zug ou à Schwytz…

Afin de comprendre la différence fiscale, prenons le cas de monsieur Mutation appelé à déménager dans les prochaines semaines. Domicilié à Lausanne, marié et père de deux enfants, son avoir de deuxième pilier se monte à CHF 400’000.-. Le prélèvement fiscal sur le canton de Vaud s’élèverait à 43’039.-, une sacrée somme due à l’un des cantons les plus chers du point de vue de l’impôt. En bon prévoyant, Monsieur Mutation décide d’ouvrir un dépôt de libre passage dans le canton de Schwyz et de retirer son avoir plus tard. Il divisera ainsi son impôt par presque 2 à 23’000.- !

Plus de conseils pour gérer vos avoirs de retraite

Commencez par imaginer où vous passerez votre retraite. Cela vous donnera une feuille de route sur les montants qui apparaîtront nécessaires à ce moment-là. Le coût de la vie apparaîtra comme très différent selon que vous vous installiez en France, en Espagne, aux États-Unis, à Singapour, en Thaïlande ou en Suisse. En 2021, vous viverez confortablement avec 3’000.- par mois en Europe du Sud tandis que la même somme apparaîtra insuffisante pour la Suisse.

Traitez votre capital retraite avec soin sur le long terme. Cette épargne « forcée » offre l’avantage de croître année après année et même les cigales en tireront profit. L’investir est « obligatoire » pour à minima maintenir son pouvoir d’achat. Si vous bénéficiez de suffisamment de temps devant vous, vous devriez chercher à faire mieux que juste battre l’inflation.

Vous pourriez utiliser vos avoirs de prévoyance pour acquérir votre résidence principale à l’étranger. Attention toutefois à bien étudier votre marché avant de procéder. Contrairement à une idée reçue, l’immobilier subit aussi des revers assez violents (-30% à -50% en 1990 et en 2008). Certaines régions comme l’Amérique du Nord sont connues pour être volatiles à moyen terme.

Au-delà du foncier et si vous bénéficiez d’une expérience importante en gestion de patrimoine, vous pourriez gérer vos avoirs vous-même en passant par des actifs liquides. Prêtez toutefois attention à vos émotions. Nous parlons de votre retraite, c’est-à-dire de la période où vous ne disposerez plus de salaire pour payer la vie courante.

Dans ce cas, pourquoi ne pas laisser votre fortune en Suisse ? En gardant un pied à terre patrimoniale en Suisse, votre dépôt sera préservé des banqueroutes bancaires. Peu de pays peuvent en dire autant. Je pense notamment à la France, qui, malgré le discours de François Hollande en 2012 : « mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance », a supprimé le dernier degré de protections des épargnants contre les faillites bancaires. Assez cocasse non ?

Si vous cherchez à placer correctement votre deuxième pilier, contactez-moi. Nous trouverons ensemble une solution qui vous correspond.

Ai-je les moyens d’acheter mon logement ? La faisabilité.

Acheter son propre logement nécessite un certain niveau de revenu et une mise de départ.

Avant de chercher à acheter un bien, il va falloir déterminer si vous en avez les capacités. C’est ce qu’on appelle la faisabilité. Nous pouvons aussi définir la faisabilité par cette question : quel est le prix maximum du bien que je peux acheter ?

Cette faisabilité est déterminée par deux éléments : vos revenus et votre épargne accumulée qui servira à payer les fonds propres et les frais de notaire.

La faisabilité en fonction de vos revenus

Les charges annuelles liées au bien immobilier ne peuvent excéder le tiers (33.3%) de vos revenus bruts.

Ces charges sont composées de trois éléments majeurs : les intérêts d’emprunt, l’entretien du bien et le remboursement de la dette.

Chaque prêteur définissant ses propres normes de calcul, la faisabilité variera d’un établissement à un autre. Je peux toutefois vous dire que dans la grande majorité des cas, les prêteurs comptent 4.5% pour les intérêts d’emprunt, 1% pour l’entretien du bâtiment et 1% pour le remboursement de la dette.

Si vous voulez avoir une idée assez proche de la réalité du prix maximum qu’il vous est possible de débourser, prenez la somme de vos revenus bruts annuels – en incluant la moitié de la moyenne de vos bonus perçus lors des trois dernières années… vous suivez ? 😉 Puis divisez le montant obtenu par 5.6% et divisez encore par trois (ce qui vous permet d’obtenir le tiers du revenu).

Un exemple. Prenons un couple qui gagne 180’000.- francs bruts par an brut et qui, sur les trois dernières années, a perçu une moyenne de 40’000.- de bonus annuel. Il pourra retenir la moitié des bonus donnant un revenu maximum de 200’000.-. Divisons ce revenu par 5.6% puis divisons ce quotient (le résultat de la première division) par 3, et nous obtenons un prix d’achat maximum de 1’190’476.- (200’000.- / 5.6% / 3).

Retenez que le prix maximum n’est pas forcément le prix auquel il faut acheter. Acheter en deçà de la faisabilité maximale permet de garder une marge de sécurité intéressante en cas de pépin, et réduit aussi l’effort d’épargne nécessaire au remboursement de la dette. 🙂

Enfin, vous pouvez compenser un « manque » de revenu en augmentant la part de fonds propres. Justement, voyons ce que sont les fonds propres.

La faisabilité en fonction de vos fonds propres

Ici nous parlons simplement de votre épargne disponible pour réaliser votre achat.

Cette épargne peut être constituée de liquidités, d’une donation, d’un terrain, de votre capital de 2e pilier, de vos 3e piliers, d’un prêt familial, d’un héritage immobilier… Il existe sans doute autant de possibilités que d’individus.

Voyons ci-dessous le cas le plus fréquent et le plus standard.

En Suisse, pour pouvoir acheter votre résidence principale, vous devrez investir au minimum 20% du prix du bien de votre poche. Ce sont vos fonds propres.

Au moins 10% du prix du bien doivent être payé avec des avoirs ne provenant pas de votre caisse de pension, c’est à dire en liquide, en 3e pilier ou encore en bien immobilier (un héritage par exemple).

Certains prêteurs exigent un minimum de 33.3% de fonds propres. C’est le cas de certains assureurs ou de certaines banques, en particulier lorsque que vous achetez dans des régions où les prix sont considérés comme très élevés. Par exemple, sur l’arc lémanique et à Zurich, plusieurs prêteurs estiment que les prix sont tellement hauts qu’ils se mettraient à risque de prêter les 80% habituels. Ainsi, ils exigent un niveau de fond propres plus important pour se protéger d’une éventuelle baisse des prix.

Notez que plus vous mettrez de fonds propres, plus vous augmenterez votre sécurité en cas de hausse des taux ou de baisse des prix.

Vous pourriez également nantir (mettre en garantie) votre caisse de pension en guise de fonds propres. L’avantage sera de ne pas impacter vos avoirs de retraite grâce à une dette plus importante. Au vu des taux bas et si vous en avez les moyens, c’est une solution très intéressante. J’en parle ici.

Si vous acquérez un bien de rendement, il vous faudra débourser, dès le 1er janvier 2020, 25% de fonds propres. Ici il n’est pas permis d’utiliser votre caisse de pension ou vos 3e piliers.

Les frais de notaire

Lorsque l’on parle de « frais de notaire », il faut surtout comprendre : taxe, taxe et encore taxe !

La facture totale représente généralement 5% du prix d’achat sur Vaud, Genève et Fribourg, aux environs de 4% à Neuchâtel et plutôt 3% en Valais.

Vous aurez à payer le droit de mutation, les frais d’inscription au registre foncier et les frais du notaire à proprement parler.

Le droit de mutation est un impôt qui porte sur le montant du transfert de propriété entre personnes. Cet impôt, à la charge de l’acheteur, est le coût le plus lourd dans la transaction et représente 70% à 90% des frais de notaire. Sachez qu’il peut aussi être payé par le vendeur ou encore à part égale entre l’acheteur et le vendeur… Vous pouvez donc trouver ici un élément pour négocier le prix du bien. 😉

Le registre foncier est un service public où l’on trouve le nom des propriétaires d’un bien ainsi que les gages sur les immeubles (comme la cédule hypothécaire, la servitude etc.).

Encore des frais… 🙁 la cédule hypothécaire

Il est possible que vous deviez ajouter à ces démarches la création ou l’augmentation d’une cédule hypothécaire.

La cédule hypothécaire est le document légal qui sera en quelque sorte la contrepartie de votre dette hypothécaire. Elle permet au titulaire (qui devient votre prêteur) de réaliser le gage (en d’autres termes : de vendre aux enchères votre bien immobilier) dans le cas où vous ne parviendriez pas à payez vos factures d’intérêts ou d’amortissement.

Ce document est un papier valeur et laisse apparaître un montant qui est en général au moins égal au montant du prêt. Je vous recommande vivement de laisser une marge supplémentaire afin d’anticiper par exemple, de futurs travaux qui nécessiteraient un nouvel emprunt dans le futur. Voyez loin, cela vous évitera des frais inutiles…

Il existe maintes façons de gager son bien immobilier. La cédule est la plus courante en Suisse romande.

Cet article est extrait d’un bonus de 10 pages sur l’achat immobilier et qui sera bientôt disponible. 🙂

J’ai une question pour vous : est-ce que l’un de vos amis, ou l’un de vos collègues, ne sait pas s’il peut acheter sa résidence principale ? Si c’est le cas, envoyez lui cet article ! Vous lui rendrez service.

Retraite suisse – Un troisième pilier intelligent – Épisode 6

Vous souhaitez vous constituer un troisième pilier ? Vous ne savez pas par où commencer ? Lisez ceci, ce n’est pas très compliqué !

Lors des derniers épisodes, nous avons vu le fonctionnement du premier et du deuxième pilier. Je vous propose ici de résumer les lacunes du système des trois piliers puis de voir les points importants à considérer pour vous construire un troisième pilier intelligent.

AVS : le système est mort, vive le système !

L’AVS est un système de répartition dont les jours sont probablement comptés.

La cause majeure en est la démographie. La génération du baby boom a construit sa retraite sur le fait que leurs enfants la payeront. Ils n’ont toutefois pas fait suffisamment de bébés pour pérenniser ce système…

Aujourd’hui, baby est devenu papy et d’ici à 2030, le dernier d’entre eux sera passé à la retraite.

Les graphiques ci-dessous sont sans équivoque. L’idée de la solidarité retraite entre les générations, idée qui a émergé au début du XXe siècle (belle pyramide) ne fonctionnera bientôt plus (pyramide inversée en 2045).

Vous trouvez plus de détails dans l’article sur l’AVS en cliquant ici.

Deuxième pilier : Taux négatifs et allongement de la durée de vie, ça vous parle ?

Nous avons vu dans les articles précédents sur le deuxième pilier que chaque travailleur épargne pour lui-même et récupère à la retraite ses avoirs sous forme du capital ou sous forme de rente mensuelle à vie. Enfin ça, c’est « sur le papier ». En effet, le deuxième pilier fait face à deux facteurs dommageables.

Les intérêts négatifs, ou quand la notion de sécurité disparaît

Les intérêts négatifs, persistants depuis près de dix ans, forment le facteur d’actualité le plus néfaste à la pérennisation de nos caisses de pension. Le capital de votre caisse est majoritairement placé en obligations, en actions et en immobilier. Lorsque vous entendez parler de taux nuls ou négatifs, comprenez que c’est la part historiquement la plus sécuritaire qui est impactée : les obligations.

Afin de maintenir un rendement positif, les caisses de retraite se sont massivement rapatriées sur l’immobilier suisse, l’avantage étant d’encaisser un revenu régulier via les loyers. Le hic est que, répondant au jeu de l’offre et de la demande, les prix de l’immobilier se sont envolés, faisant proportionnellement s’effondrer les rendements (loyers).

Les obligations et l’immobilier représentent, selon les caisses, de 50% à 80% de leur fortune ! Vous comprenez ici leur difficulté à générer du rendement… pour vous.

Dans la même veine, l’absence de rendement « oblige » certaines caisses à prélever du capital aux travailleurs actuels afin de verser des rentes aux retraités. En toute transparence, et à la rédaction de cette série d’articles, je ne vous cache pas que ma surprise a été grande. Effectivement, c’est le but même du deuxième pilier qui est remis en cause ici ! Une épargne individuelle qui se transforme en épargne collective.

Que font les autorités pour remédier a cela ? Peut-on parler de vol intergénérationnel ? La limite est de mon point de vue franchie. Vous trouvez un très bon article du magazine Bilan, sur le sujet, en cliquant ici.

une partie de la génération du baby boom va percevoir plus de rente à la retraite que ce qu’elle a cotisé pendant sa vie de travail

Une histoire de taux de conversion

Le second facteur préjudiciable est l’allongement de la durée de la vie. Bonne nouvelle, nous vivons plus longtemps en bonne santé. Et plus nous vivons longtemps, plus nous avons des chances de vivre… encore plus longtemps. 🙂

Lors de la création du deuxième pilier, dans les années 1970, l’espérance de vie à la naissance était inférieure à 79 ans pour les femmes et à 72 ans pour les hommes. Aujourd’hui, elle est de 85.4 ans pour les femmes et de 81.7 ans pour les hommes.

les rentes étant servies à vie, une partie de la génération du baby boom va percevoir plus de rente à la retraite que ce qu’elle a cotisé pendant sa vie de travail.

C’est l’espérance de vie qui a permis de fixer le taux de conversion actuel de 6.8%. Appliqué sur le capital, il fixe le montant de la rente. Révisé pour la dernière fois en 2005, il permet de distribuer le capital pendant 14.7 ans dès le départ en retraite, amenant les femmes à 78.7 ans et les hommes à 79.7 ans. Dans la réalité actuelle, le versement de la rente continue après 14.7 ans… au même taux et ce même si vous vivez 85 ans, 90 ans, 100 ans ou plus.

En toute « logique mathématique », il devrait être proche des 6%.

Les différentes réformes portant sur la baisse de ce taux ont été refusées par le peuple. Notez qu’il est uniquement appliqué sur la partie légale définissant le minimum LPP, le taux sur la partie sur-obligatoire étant à la libre appréciation de la caisse. Vous trouvez ici plus de détail sur le deuxième pilier.

L’espérance de vie à la naissance était inférieure à 79 ans pour les femmes et à 72 ans pour les hommes. Aujourd’hui, elle est de 85.4 ans pour les femmes et de 81.7 ans pour les hommes.
À 65 ans, votre espérance de vie grimpe à 87.5 ans si vous êtes une femme et à 85 ans si vous êtes un homme. Plus vous vivez vieux, plus vous vivez… vieux ! 🙂

Exemples concrets du taux de conversion et des taux négatifs

En ce qui concerne les taux négatifs : prenons un salarié qui arrive aujourd’hui à la retraite avec un million de franc de capital. Ce million est globalement composé de 50% d’épargne et de 50% de rendement. A carrière et revenu égaux, son fils ou sa fille arrivera à la retraite avec seulement 500’000.- francs, montant composé majoritairement d’épargne (rendement très faible). Sa retraite sera donc deux fois plus petite.

Pour le taux de conversion : mettons que vous arrivez à la retraite avec 500’000.- de capital. Multipliez 6.8% de prélèvement par ce capital et vous trouvez votre rente annuelle de 34’000.-. En ponctionnant ce montant chaque année, votre capital serait théoriquement éteint après 14.7 ans. Dans les faits, et pour le moment, vous continuez de le percevoir.

Pourquoi faire un troisième pilier ?

Nous l’avons vu, l’AVS est « mort » et le deuxième pilier se fait attaquer par les intérêts négatifs et l’allongement de la durée de vie.

Autant de problèmes qui incitent à se constituer une épargne supplémentaire. Afin d’augmenter votre épargne retraite, vous êtes libre de constituer un troisième pilier « lié à la retraite » et déductible de vos impôts. C’est ce qu’on appelle le troisième pilier A.

Si vous êtes salarié cotisant à un deuxième pilier, vous pouvez épargner au maximum le montant de 6’826.- francs tandis que si vous êtes indépendant sans caisse de pension, le maximum est de 34’128.- (chiffres de 2019).

Au vu de la situation, se constituer ou non un troisième pilier n’est pas tellement une question à se poser. Les questions à se poser sont plutôt de savoir combien je dois épargner, comment je le constitue de manière intelligente, comment je peux l’adapter à mes besoins et à mes objectifs de vie. C’est à l’ensemble de ces questions que nous allons tenter de répondre.

Oui mais le troisième pilier, ce n’est pas pour moi !

J’entends souvent : « de toute façon, je ne vivrai pas jusqu’à la retraite alors autant vivre et tout dépenser maintenant ». Précisons que c’est bien votre moi qui a de grandes chances de vivre de 65 à 85 ans et plus. Vous pourriez vous poser la question : est-ce que je veux vraiment m’infliger une retraite à 40% ou à 50% de mon train de vie actuel ? Faites les comptes sérieusement : divisez votre revenu par deux et regardez si ça fonctionne avec votre train de vie.

Quel montant épargner dans mon troisième pilier ?

La solution est assez simple : il « suffit » de s’habituer à vivre avec 5% de revenu en moins dès son premier travail et ce jusqu’à la retraite. Vous pourriez par exemple enlever 5% de loisirs, 5% de restaurants, 5% d’iPhone et 5% de vacances… et mettre cette épargne sur votre 3e pilier pour pouvoir ainsi, aisément, continuer à consommer 80% de loisirs, 80% de restaurants, 80% de vacances… à la retraite 😉

Cette règle des 5% est une bonne indication si vous commencez tôt votre troisième pilier, c’est à dire dès votre premier emploi. Par exemple, si vous commencez à travailler à 25 ans avec un revenu de 5’000.- brut, vous pourriez mettre 250.- chaque mois en troisième pilier. Si quelques années plus tard, votre revenu augmente à 7’000.-, vous pourriez augmenter votre épargne à 350.- par mois et ainsi de suite.

Si vous attendez vos 45 ans, vous loupez le plus grand atout qui tourne en votre faveur : le temps. En effet, lorsque vous placez un capital, il travaille pour vous. C’est ce qui forme les intérêts composés : les intérêts font des intérêts, qui font à leur tour des intérêts et ce sur de longues années.

Pour illustrer mon propos, prenons le cas de Jean qui épargne 3’000.- par année dès ses 25 ans et comparons-le à Pierre, qui décide tardivement (à ses 45 ans) d’épargner le maximum de 6’826.-. A un taux de rendement moyen annuel de 3%, Jean récupérera 235’990.- et Pierre 195’746.-. C’est pourtant Pierre qui a mis le plus d’argent de sa poche…

Dans tous les cas, et peu importe votre âge, il est encore suffisamment tôt pour se poser la question et commencer à épargner.

Quel rabais d’impôts grâce à mon troisième pilier ?

Ajoutez que vous obtiendrez un rabais d’impôt sur le montant épargné. Il est difficile de vous dire précisément combien puisque qu’il dépendra de votre situation personnelle. Prenons deux exemples :

  1. Un salarié célibataire vivant à Lausanne avec un revenu brut de 5’000.- mensuel économisera environ 710.- d’impôts sur les 3’000.- de troisième pilier qu’il épargne, soit près de 24%. Un beau rendement 🙂
  2. Un couple marié avec deux enfants, vivant à Lausanne et gagnant 17’000.- brut mensuel économisera environ 4879.- d’impôts sur les 13’652.- (2 fois 6’826.-), soit le montant maximal qu’ils sont autorisés à épargner en troisième pilier, ce qui représente près de 36% d’économie fiscale !

D’accord, mais comment je fais un troisième pilier ?

Avant de choisir un troisième pilier, il est vivement recommandé de procéder à une analyse globale de votre situation financière et de réfléchir un minimum à vos objectifs de vie. Cela vous aidera à y voir plus clair et vous permettra de faire le bon choix.

Votre troisième pilier peut prendre la forme d’un dépôt bancaire ou d’une assurance sur la vie.

Bien que le but soit le même (constituer une épargne pour la retraite), le chemin pour y arriver est différent.

Le troisième pilier bancaire

Dans une banque, vous épargnez sur un dépôt, tout en restant dans la limite légale annuelle. Ce dépôt peut être à rendement nul ou investi avec des perspectives de rendements variables. Comptez entre 2% et 5% en moyenne annuelle. Certaines années peuvent être négatives et inférieures à cette moyenne (comme 2008) et d’autres au dessus (comme 2017). C’est la moyenne qui importe. Plus vous aurez du temps devant vous, plus vous pourrez aller chercher du rendement.

Le troisième pilier assurance

Dans une assurance, vous épargnez et profitez également de couvertures d’assurance telles que la libération du paiement des primes, d’un capital en cas de décès ou encore d’une rente invalidité. Évidemment, ces prestations d’assurances ont un coût et une comparaison entre diverses compagnies et différents produits est judicieuse.

Le troisième pilier assurance est, pour simplifier, un copié-collé du fonctionnement du deuxième pilier.

La libération du paiement des primes vous donnerait l’occasion d’arrêter votre cotisation en cas d’invalidité liée à une maladie ou à un accident. L’assureur épargnerait à votre place, vous permettant de toucher votre capital à la retraite.

Le capital décès est assez évident à comprendre et pourrait servir à rembourser votre dette hypothécaire par exemple.

Quant à la rente d’invalidité, elle permettrait de toucher un revenu complémentaire aux deux premiers piliers en cas de maladie ou d’accident à long terme.

Toutes ces prestations ont un intérêt évident pour protéger votre famille et votre patrimoine, notamment immobilier.

Dans la même veine qu’un dépôt bancaire, une assurance peut être investie ou non. Une assurance classique sera rémunérée non pas à 0% mais au taux magnifique et réglementé de 0.25% annuel, alors qu’une assurance investie pourra aller chercher des rendements compris entre 2% et 5% sur du long terme. Enfin, notez que certains assureurs offrent une garantie minimum de capital à la retraite, indépendamment des rendements effectués pendant la durée d’assurance.

Je choisis quoi ?

Il existe autant de réponses que d’individus. Les critères sont nombreux et personnels : style de vie, envie de devenir propriétaire, montant de la dette hypothécaire, enfants et famille à protéger, lacunes existantes dans les premiers et deuxièmes piliers…

C’est un travail de planification financière à proprement parler. Vous pouvez vous faire aider. Si vous souhaitez vous constituer un troisième pilier intelligent, contactez moi 😉 raphael.battu@maretraite.ch

Quelques pistes de réflexion :

Si votre fortune est déjà faite et que vous n’avez pas besoin de couvertures complémentaires pour vous protéger ou protéger votre famille d’une invalidité ou d’un décès, privilégiez le dépôt bancaire.

Par expérience, si votre épargne annuelle est élevée (deux fois ou plus la limite des 6’826.-) et que votre revenu dépasse le salaire couvert par les deux premiers piliers (environ 100’000.- annuels), l’assurance sera souvent judicieuse. Elle vous permettra de vous focaliser sur vos autres épargnes plus flexibles tout en sécurisant votre famille et votre patrimoine.

Un mix banque-assurance peut également offrir des avantages.

Pour ce qui est des rendements, si votre horizon de temps est inférieur à cinq, voir à dix ans, privilégiez un compte rémunéré à …0%. Ce n’est pas joyeux, mais cela aura le mérite de vous protéger d’une mauvaise année type 2008. A contrario, si vous avez du temps devant vous et un minimum de propension à l’investissement, vous pouvez vous orienter vers un compte avec une proportion d’actions importantes.

Je vous invite à vous faire conseiller et assister pour faire le bon choix. Privilégiez du sur-mesure !

J’y vois plus clair, mais la vie n’est pas figée ! Comment je peux adapter mon troisième pilier à mes besoins et à mes objectifs de vie ?

Bonne question 🙂

D’abord, sachez que si l’utilisation première du troisième pilier est la retraite légale, il existe quelques dérogations. Vous pourriez utiliser votre capital de troisième pilier ou votre police d’assurance dans les cas suivants :

  • Vous vous lancez comme indépendant,
  • Une retraite anticipée de cinq ans précédant l’âge légal,
  • Financer l’achat de votre résidence principale,
  • Faire des travaux apportant une plus value à votre résidence principale,
  • Vous en avez marre des montagnes ? Vous souhaitez partir vivre sous les palmiers ? Le départ à l’étranger fait partie des dérogations.
  • Votre banquier vous prête de l’argent pour acheter votre résidence principale mais vous demande une garantie : vous pouvez nantir (mettre en garantie) votre troisième pilier.

Enfin, vous pouvez ouvrir jusqu’à cinq comptes ou assurances de troisièmes piliers. J’y vois plusieurs avantages : flexibiliser l’utilisation de vos troisièmes piliers, diversifier votre épargne et casser la progression fiscale à la retraite lors du retrait du capital.

Pour conclure

Se constituer un troisième pilier intelligent et sur mesure nécessite de faire un bilan de votre patrimoine et demande une réflexion sur vos objectifs de vie. Je vous recommande également de réévaluer et d’adapter régulièrement votre situation afin de garder une cohérence entre votre vie et votre patrimoine.

Si l’un de vos collègues, amis ou membres de votre famille n’a pas encore de troisième pilier, faites-lui suivre cet article, il vous sera certainement reconnaissant.