Votre résidence principale n’est pas un investissement

« Vous réalisez le meilleur investissement de votre vie en achetant votre résidence principale ». Cette phrase, vous l’avez sans doute entendue de la part de votre famille, de vos amis, de votre banquier et bien sûr du courtier immobilier. Elle me semble pourtant partiellement fausse. Je ne me ferai probablement pas beaucoup d’amis avec cet article, et je vais tenter de vous démontrer les raisons de cette affirmation en vous exposant quelques arguments.

J’avoue que ce raisonnement m’est apparu il y a quelques années en lisant « Père riche, père pauvre » de Robert Kiyosaki. J’étais resté dubitatif sur le moment, mais force est de reconnaître que l’auteur propose une réflexion pertinente, qui va à l’encontre de la doxa y compris dans le milieu financier. Je vais tenter de vous la retranscrire partiellement ici.

Le cas Peter Lynch et la pensée commune

Prenez par exemple un grand investisseur tel que Peter Lynch. Dans son livre « One Up on Wall Street », l’auteur considère l’achat d’une maison comme « un bon investissement […] qui vous fait gagner de l’argent dans 99 pour cent des cas ». Je lui accorde qu’une maison reste « un parfait remède contre l’inflation et un endroit idéal où s’abriter durant une récession ».

Peter Lynch poursuit son raisonnement de manière intéressante – surtout si l’on fait le lien avec une planification financière personnelle – en expliquant que les gens achètent une petite maison au début de leur vie, puis une plus grande à la naissance des enfants, pour enfin retourner dans une plus petite lorsque les enfants quittent le foyer. Ce schéma permet de réaliser une plus-value conséquente et nette d’impôts (ou quasi nette en Suisse) lors de la vente de la grande maison, puisqu’il y a arbitrage entre la grande et la petite.

En ce qui concerne les maisons, Lynch renie ainsi l’adage de Wall Street « n’investissez jamais dans quelque chose qui se nourrit ou se répare ».

Enfin, il admet que les raisons principales permettant de réaliser des gains grâce à sa résidence principale sont d’ordres psychologiques. Notamment le peu de chance que vous auriez de vendre votre maison dans la panique si les prix immobiliers venaient à s’effondrer. C’est, reconnaissez-le, ce que vous risqueriez de faire avec une action pendant un krach boursier massif. Il faut dire qu’un coup de téléphone ou un ordre sur internet suffiront pour vous séparer d’un titre en bourse tandis qu’il vous faudra planifier toute une série d’événements pour vous débarrasser de votre maison.

À en croire Lynch, qui recommande d’acheter une maison avant d’acheter une action, l’achat d’une résidence principale est donc un investissement gagnant sur le long terme.

Continuons la discussion.

Qu’est-ce qu’un investissement ?

Avant de poursuivre, nous devrions définir le terme « investissement » et le verbe « investir ».

Selon le dictionnaire le « Trésor de la langue française », un investissement peut se définir par l’application d’une certaine quantité de monnaie à la création de biens de production, d’équipement, de produits de consommation ou de services.

Nous pourrions ici soutenir que l’achat d’un bien immobilier ancien n’a rien d’un investissement tandis que construire ou rénover une maison crée une demande en produits de consommation et en services via les entreprises et les artisans employés.

Quant au verbe investir, et toujours selon le même dictionnaire, cela consiste à placer de l’argent dans un secteur de l’économie ou dans une entreprise, pour en tirer des revenus.

Or, et c’est bien le sujet, vous ne tirez aucun revenu de votre résidence principale. Hormis dépenser un certain flux d’argent, il ne me semble pas pouvoir obtenir un retour pécuniaire et pérenne des acteurs qui travaillent sur le chantier.

Avec l’apparition des taux nuls et négatifs, nous pourrions toutefois voir dans cette dépense une façon de geler ses avoirs à condition de n’assister à aucune baisse du marché immobilier. Et toujours aucun revenu en vue…

Des coûts, des coûts et encore des coûts

Donc, sauf à louer une partie de votre logement ou à pratiquer la colocation, vous ne pouvez espérer aucun fruit de votre résidence principale.

Au contraire, vous accumulerez une quantité de frais tels que les coûts d’entretien et de rénovation (généralement 1% de la valeur d’achat et pouvant monter jusqu’à 2,5% dans des bâtiments anciens), les intérêts de l’emprunt, l’impôt issu de la valeur locative, la taxe immobilière locale, etc.

Que pense Robert Kiyosaki ?

Kiyosaki emploie dans ses livres le langage de la comptabilité d’entreprise. Son but est de transmettre au plus grand nombre un schéma et des méthodes pour se construire un patrimoine.

Une société dispose d’actifs (investissements) qui lui procurent des revenus tels que des machines ou des outils… et de passifs formés par les dettes et le capital social (la part détenue par les propriétaires de la compagnie).

Les recettes de l’entreprise sont quant à elles opposées aux dépenses. Pour qu’un ménage privé s’enrichisse, il doit transformer une partie de ses revenus en actifs (épargne investie) et éviter d’en dépenser l’intégralité. Vous trouvez un article sur le sujet ici.

Actifs VS Passifs

Kiyosaki écrit qu’un actif met de l’argent dans votre poche contrairement aux passifs. Et il classe la résidence principale dans cette dernière colonne : un élément passif avec un lot de dépenses liées, comme je l’écris plus haut.

Je le cite : « Je voudrais faire remarquer que la plupart des gens travaillent toute leur vie pour payer une maison qu’ils ne possèdent jamais […] même si les gens reçoivent un dégrèvement d’impôt relativement aux intérêts de leurs versements hypothécaires, ils paient tous leurs autres frais avec des dollars après impôts ». Notez qu’il vit aux États-Unis et écrit pour les Nord-Américains. Vous pouvez remarquer l’analogie entre le système des hypothèques américaines et des intérêts déductibles fiscalement avec la Suisse.

Il continue ainsi : « les maisons ne prennent pas toujours de la valeur […] Si tout votre argent est immobilisé dans votre maison, il se peut que vous soyez forcé de travailler plus dur, car votre argent continue de fondre dans la colonne des dépenses au lieu de s’additionner dans la colonne de l’actif, ce qui représente le modèle classique de la marge d’autofinancement de la classe moyenne […] Il arrive trop souvent qu’une maison serve de facteur incitatif pour que vous contractiez un emprunt et que vous ayez ensuite à en payer les dépenses qui vont toujours en augmentant ».

Avez-vous déjà lu quelque chose comme ça ?

Robert (appelons le Robert 🙂 ) conclu sa tirade sur la résidence principale de cette manière : « les gens achètent généralement une maison trop dispendieuse pour leurs moyens au lieu de commencer à investir, dès que possible, dans un portefeuille de placements. Le résultat final influe sur un individu, tout au moins, des trois façons suivantes :

  1. Perte de temps, pendant lequel les autres actifs auraient pu prendre de la valeur.
  2. Perte d’un capital additionnel, qui aurait pu être investi au lieu de servir à défrayer des dépenses élevées d’entretien, liées directement à la maison
  3. Perte d’un enseignement (je ne suis pas d’accord sur ce point) ».

Oui, mais !

Alors même si j’approuve Robert sur le principe, il oublie toutefois de mentionner que nous avons besoin d’un toit sur notre tête et sur celle de notre famille. Et donc que la limite de son raisonnement s’arrête à la comparaison avec la location de son logement. Le locataire paie indirectement les mêmes charges que le propriétaire.

Je ne connais pas le marché de la location aux États-Unis, mais dans grand nombre de régions de Suisse, les loyers sont exorbitants. Et pour peu que vous habitiez sur l’arc lémanique ou à Zurich, le mot « exorbitant » peut vite devenir léger.

Alors qui a raison ?

Les deux mon capitaine !

Acheter un bien immobilier, et sauf à acheter au-dessus de vos moyens, devrait limiter et même baisser sur le long terme les coûts liés à votre logement.

Les intérêts bas actuels – malgré des prix d’achat à l’apparence élevés – permettent de quasi diviser par deux l’équivalent en location. Même en ajoutant l’entretien courant et de long terme, vous devriez rester 40% bénéficiaire chaque mois.

Cet excédent devrait donc être investi sans question pour construire votre patrimoine et pour vous protéger de la dette. Pour ces raisons, vous devriez privilégier une hypothèque à long terme et à faible coût. Je vous renvoie à cet article sur le sujet.

C’est en mixant les deux réflexions évoquées ici que vous pourriez trouver le bon équilibre entre d’un côté, obtenir moins de dépenses que de revenus afin d’épargner, et de l’autre combler l’envie profonde qui vous anime d’être chez vous. Car c’est finalement cela une résidence principale, le souhait d’être chez soi.

Contactez-moi si vous souhaitez discuter l’achat de votre résidence principale, rembourser votre dette, négocier votre hypothèque ou encore la renouveler.

Cet article a été posté en tant qu’invité sur le site investir.ch dont je vous recommande vivement la lecture. Vous y trouverez de nombreuses analyses sur la finance, l’économie, l’immobilier ou encore la prévoyance dans notre pays.

Prévoyance : quitter la Suisse

Vous êtes muté à l’étranger ? Vous souhaitez découvrir de nouveaux horizons ? Ou vous retournez dans votre pays natal, après quelques années de travail en Suisse ?

Quitter la Suisse pour l’une de ces raisons est assez fréquent et pose un grand nombre de questions sur le niveau de votre retraite. Est-ce que mes années de cotisations AVS sont perdues ? Ai-je le droit de récupérer mes 2e et 3e piliers ? Comment limiter les impôts de sortie ? À quoi penser pour l’avenir de ma prévoyance ?

Autant d’interrogations légitimes auxquelles nous allons essayer de répondre.

Cotiser à différents systèmes sociaux

Si au cours de votre carrière, vous êtes amené à travailler dans plusieurs pays, vous participerez à des stratégies de prévoyance très différente.

Prenons par exemple les cas de la France et de la Suisse. Le premier pays ne fonctionne quasiment que sur un système de répartition tandis que le second offre un mix entre répartition et capitalisation.

Dans une approche de répartition, ce sont les montants de vos cotisations actuelles qui déterminent le niveau de votre allocation de retraite futur. Nous cotisons en général une quarantaine d’années dans une telle structure, sans former d’épargne. En Suisse, le premier pilier (AVS) fonctionne ainsi sur 44 ans de contributions pour les hommes et 43 ans pour les femmes.

L’épargne est plus simple à comprendre : au travers des caisses de pensions et du 3e pilier suisses, vous accumulez un avoir qui vous sera rendu sous forme de rentes mensuelles ou de capital à la retraite.

Au fil du temps et de vos déplacements, vous construisez un puzzle de systèmes dont le tableau final ne vous apparaîtra que dans 20 ans, 30 ans ou plus. Vous avez donc tout intérêt à y accorder un minimum d’attention et de suivi afin de vous éviter des montagnes de formalités administratives la retraite venue. Mon premier conseil : gardez les preuves de vos cotisations.

L’AVS

Vous devriez conserver vos certificats de salaires annuels (reçus en début d’année pour l’année précédente). Ce document recense vos revenus perçus ainsi que le montant de vos cotisations AVS et du deuxième pilier.

Avant de quitter le pays, je vous invite également à commander un extrait individuel auprès de l’AVS. Ce dernier vous permettra de vérifier l’exactitude des salaires cotisants en plus de vous servir comme preuve à archiver. Demandez-le avant de quitter le territoire pour pouvoir échanger (et éventuellement réagir) facilement et rapidement avec l’administration ou avec un ancien employeur. Vous pouvez commander votre extrait en cliquant ici.

Vous pourrez exiger vos prestations AVS au plus tôt deux ans avant l’âge légal de la retraite, soit à 65 ans pour les hommes et à 64 ans pour les femmes. Une rente anticipée (avec un impact négatif sur la rente) peut être demandée à respectivement 63 ans et 62 ans.

Notez que, comme tout système de répartition en occident, les choses sont amenées à fortement évoluer dans les prochaines années. Le vieillissement très prononcé de la population pèsera de plus en plus lourdement sur ce dispositif. Je vous renvoie à ma série d’articles sur le sujet.

Étant donné qu’une rente pleine nécessite 43 ans à 44 ans (femmes, hommes) de cotisations, vous bénéficierez très probablement d’un montant inférieur au maximum possible.

Lorsque vous aurez atteint l’âge légal de départ à la retraite, vous devrez « simplement » vous adresser à l’AVS.

Pensez aussi que les grandes sociétés et les organismes publics peuvent proposer une expatriation avec une affiliation au système de retraite suisse. Renseignez-vous auprès de votre employeur.

L’épargne du deuxième pilier

Dans le deuxième pilier, vous capitalisez chaque mois une fraction de votre salaire avec le concours de votre employeur. Cette épargne s’accumule dans votre caisse de pension et vous rapporte des intérêts – souvent ridicules, mais c’est un autre sujet. 

Lors d’un départ définitif de Suisse, vous pourriez récupérer tout ou partie de votre avoir selon l’endroit où vous élisez domicile.

Tentons de faire simple. Si vous vous installez en dehors de l’Union européenne, vous avez le droit de mettre la main sur 100% de votre capital.  À contrario, en vous établissant en UE, vous aurez l’obligation de laisser en Suisse une portion de votre deuxième pilier jusqu’à votre retraite. Cette partie forme ce que l’on appelle l’avoir minimum selon la Loi sur la Prévoyance Professionnelle (LPP). Vous trouvez ce chiffre sur votre certificat annuel. Ce montant correspond au minimum des cotisations légales que vous avez épargnées. La part excédentaire peut se libérer sans condition d’utilisation. Vous êtes par exemple au bénéfice d’un capital de 100’000.- francs dont 20’000.- dépendant de la LPP, doivent rester en Suisse.

Retenez que ce n’est pas parce que la loi vous permet de prendre tout ou partie de votre deuxième pilier que vous devez le faire… Si vous quittez la Suisse avec 100’000.-, 200’000.- ou 1’000’000.- de francs, vous devriez vous assurer que votre nouveau pays offre les mêmes niveaux de sécurité politique et financière que la Suisse. Avant de retirer votre capital, demandez-vous pourquoi des épargnants du monde entier placent leur fortune en Suisse… Vous pourriez continuer de bénéficier des structures existantes.

Gardez en mémoire qu’indépendamment du lieu où vous emménagez, les conditions de libération valables en Suisse le sont également à l’étranger. Nous trouvons par exemple l’achat de sa résidence principale ou la retraite anticipée de cinq ans avant l’âge légal (65 ans ou 64 ans).

Que faire de mon deuxième pilier ?

Si vous décidez de laisser votre argent en Suisse, vous devrez ouvrir un compte de libre passage auprès d’une banque ou une police de libre passage dans une assurance.

Choisissez un plan qui vous offrira des rendements dans la durée. Réaliser 2% à 5% « bon an, mal an » est raisonnable si vous avez du temps devant vous. Prenez cette thématique au sérieux : 200’000.- placé à 3% entre vos 40 ans et vos 65 ans vaudront 418’000.- à la retraite. Tandis que 200’000.- juste « stockés » à 0% vaudront… 200’000.-. Traduit en termes de rente, c’est un manque à gagner d’environ 10’000.- par année !

Le troisième pilier

Que vous épargniez votre troisième pilier dans une police d’assurance ou sur un compte bancaire, les réflexions qui s’offrent à vous s’apparentent à celles du deuxième pilier. La principale différence est que vous êtes totalement libre de récupérer vos avoirs et ce, peu importe l’endroit où vous vous installerez.

Faites toutefois attention à une utilisation réfléchie de vos contrats d’assurance. Ils devraient être adaptés à votre nouvelle situation. Les rentes et la libération du paiement des primes en cas d’incapacité de gain ne pourront pas toujours être conservées et vous devrez transformer votre contrat de 3A (lié à la retraite) à 3B (libre) puisque vous ne pourrez plus bénéficier des avantages fiscaux suisses.

Un contrat d’assurance conclu récemment (une dizaine d’années) pourrait par exemple être libéré du paiement des primes (vous arrêtez de cotiser et l’argent épargné continue de porter intérêt jusqu’au retrait, généralement la retraite) ou aligné avec votre nouvelle situation. Vous devriez évaluer avant de partir vos besoins nouveaux en termes de prévoyance et de protection familiale afin d’ajuster en conséquence le niveau des cotisations et des prestations.

Pour ce qui est du troisième pilier bancaire, c’est un peu plus simple. Si vous disposez d’une dizaine d’années devant vous, vous devriez l’investir – même dans un plan conservateur – afin de maintenir au minimum la valeur de votre argent dans le temps (combattre l’inflation).

Minimiser les impôts en cas de retrait de ma prévoyance

En retirant l’un ou l’autre de vos piliers, vous serez confrontés au paiement d’un impôt de sortie sur le versement en capital.

Cet impôt est fonction de votre canton de résidence au moment du retrait du capital. Vous avez ici tout intérêt à faire transférer vos avoirs de prévoyance dans un canton qui offre une fiscalité plus avantageuse. À votre départ, vous déciderez librement du canton où votre deuxième pilier sera investi. Cela ne peut évidemment s’effectuer que lors de votre départ, sauf si vous souhaitez vous installer quelques jours à Zug ou à Schwytz…

Afin de comprendre la différence fiscale, prenons le cas de monsieur Mutation appelé à déménager dans les prochaines semaines. Domicilié à Lausanne, marié et père de deux enfants, son avoir de deuxième pilier se monte à CHF 400’000.-. Le prélèvement fiscal sur le canton de Vaud s’élèverait à 43’039.-, une sacrée somme due à l’un des cantons les plus chers du point de vue de l’impôt. En bon prévoyant, Monsieur Mutation décide d’ouvrir un dépôt de libre passage dans le canton de Schwyz et de retirer son avoir plus tard. Il divisera ainsi son impôt par presque 2 à 23’000.- !

Plus de conseils pour gérer vos avoirs de retraite

Commencez par imaginer où vous passerez votre retraite. Cela vous donnera une feuille de route sur les montants qui apparaîtront nécessaires à ce moment-là. Le coût de la vie apparaîtra comme très différent selon que vous vous installiez en France, en Espagne, aux États-Unis, à Singapour, en Thaïlande ou en Suisse. En 2021, vous viverez confortablement avec 3’000.- par mois en Europe du Sud tandis que la même somme apparaîtra insuffisante pour la Suisse.

Traitez votre capital retraite avec soin sur le long terme. Cette épargne « forcée » offre l’avantage de croître année après année et même les cigales en tireront profit. L’investir est « obligatoire » pour à minima maintenir son pouvoir d’achat. Si vous bénéficiez de suffisamment de temps devant vous, vous devriez chercher à faire mieux que juste battre l’inflation.

Vous pourriez utiliser vos avoirs de prévoyance pour acquérir votre résidence principale à l’étranger. Attention toutefois à bien étudier votre marché avant de procéder. Contrairement à une idée reçue, l’immobilier subit aussi des revers assez violents (-30% à -50% en 1990 et en 2008). Certaines régions comme l’Amérique du Nord sont connues pour être volatiles à moyen terme.

Au-delà du foncier et si vous bénéficiez d’une expérience importante en gestion de patrimoine, vous pourriez gérer vos avoirs vous-même en passant par des actifs liquides. Prêtez toutefois attention à vos émotions. Nous parlons de votre retraite, c’est-à-dire de la période où vous ne disposerez plus de salaire pour payer la vie courante.

Dans ce cas, pourquoi ne pas laisser votre fortune en Suisse ? En gardant un pied à terre patrimoniale en Suisse, votre dépôt sera préservé des banqueroutes bancaires. Peu de pays peuvent en dire autant. Je pense notamment à la France, qui, malgré le discours de François Hollande en 2012 : « mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance », a supprimé le dernier degré de protections des épargnants contre les faillites bancaires. Assez cocasse non ?

Si vous cherchez à placer correctement votre deuxième pilier, contactez-moi. Nous trouverons ensemble une solution qui vous correspond.

Argent liquide, liberté et dystopie : La Servante écarlate

c’est comme repenser aux billets de banque quand ils existaient encore. Ma mère en avait gardé quelques-uns collés dans son album de souvenirs, avec les photos les plus anciennes. Ils n’avaient plus aucune valeur, on ne pouvait rien acheter avec. Des bouts de papier, assez épais, poisseux au toucher, de couleur verte, avec des images des deux côtés, un vieux bonhomme à perruque et, au verso, une pyramide avec un œil au sommet. Ils proclamaient, En Dieu, nous croyons. D’après ma mère, les commerçants plaçaient des panneaux à côté de leur caisse pour proclamer en guise de plaisanterie : En Dieu, nous croyons, tous les autres paient comptant. Aujourd’hui, ce serait un blasphème.

Depuis près de deux ans, nous vivons dans une société singulière où de nouvelles normes se sont mises en place. Des pouvoirs ont émergé ou se sont renforcés tandis que des libertés se sont vues limitées. Au fur et à mesure que la société se transforme, les états, les compagnies et les Hommes changent un grand nombre d’habitudes. Ces changements n’ont pas épargné l’usage de l’argent liquide. Facteur de liberté, nous pouvons nous questionner sur son avenir. La littérature dystopique présente des formes et des usages de l’argent intéressants et différents de nos pratiques actuelles.

La liberté est un droit qui se définit notamment par l’absence de contrainte (Gustave Berger). L’argent liquide – le cash, le flouse, le grisbi, le blé, le fric, l’oseille… – parce qu’anonyme offre la liberté d’agir suivant sa volonté. Si demain vous ne pouviez dépenser votre argent qu’après validation d’une autorité – quelle qu’elle soit – vous auriez une entrave dans vos libertés. La technologie permet à notre époque d’encadrer et de mettre en place une monnaie numérique « de surveillance ». Ce n’est pas de la science-fiction, voyez ici la volonté de la Chine.

L’argent liquide va-t-il disparaître ? Aurons-nous toujours la liberté de payer sans téléphone ou sans carte à l’avenir ? Ces questions me semblent légitimes, tant la pression sur le cash n’a jamais été aussi forte. Depuis mars 2020, vous avez sans doute entendu chez de grands commerçants les haut-parleurs crier « payez en toute sécurité et sans contact ». Cette incitation apparaît pour le moins étrange lorsque l’on sait que ces entreprises vendent des cartes de crédit… La rente financière est évidemment importante pour l’entreprise qui détient le support de paiement grâce aux frais de transaction.

Cette pression date de plus d’une décennie et ne vient pas uniquement du secteur privé. Les états français et italiens ont depuis quelques années limité l’usage du liquide pour des raisons fiscales notamment. La France restreint par exemple l’achat d’une voiture à un professionnel à 1’000 euro cash. Le solde doit être payé par un moyen traçable tel qu’un virement ou un chèque.

Les mêmes restrictions s’appliquent pour acquérir des métaux précieux. Au revoir l’anonymat. Ce rapport entre l’anonymat et les métaux précieux n’est pas anodin. Nous connaissons plusieurs exemples de pression de l’état envers les détenteurs d’or au cours du XXe siècle. Citons par exemple les États-Unis qui ont réquisitionné l’or de leurs concitoyens en 1933 afin de lutter contre l’envolée des taux d’intérêt. En France, le gouvernement du Front populaire a procédé de la même façon en 1936 et le Général de Gaulle a récidivé entre 1944 et 1948.

Dans ce contexte de contrôle, nous trouvons des parallèles intéressants avec l’ensemble de la littérature dystopique et de science-fiction. Nous pensons évidemment à 1984 de Georges Orwell. En 2021, dans notre société de surveillance de masse naissante, Big Brother ressemblerait plutôt à Little Brothers comme l’évoque le chanteur marseillais Akhenaton. Le risque est de mon point de vue que nous ayons les deux : la surveillance du voisin associé au divide et impera (diviser pour mieux régner) de l’administration toute puissante.

English Socialism dans 1984

Pour revenir à la littérature dystopique et au-delà de 1984, nous apercevons des similitudes avec de nombreux ouvrages tels que Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, Globalia de Jean-Christophe Rufin… ou encore La Servante écarlate de la canadienne Margaret Atwood.

Le Meilleur des Mondes de Aldous Huxley

C’est un passage de ce superbe roman que j’aimerai vous partager ici. Dans ce « roman d’anticipation », sorti en 1985, et maintes fois distingué, les personnes vivent dans un régime totalitaire et se voient attribuer des rôles très spécifiques. En quelques mots, le taux de natalité s’effondre et les humains font évoluer leur société pour éviter de disparaître. Fait marrant, la république se nomme « Gilead »… toute ressemblance avec l’actualité…

Je vous propose donc un passage qui explique une partie de la transition entre « notre monde » et le monde de l’héroïne Defred. Cet extrait nous montre le rôle important que joue l’argent liquide dans notre liberté quotidienne et qu’il faut une certaine volonté et combativité pour ne pas le perdre.

Vous jetterez peut-être un œil à cet initiative populaire réclamant de passer par le peuple et les cantons au cas où la Confédération souhaiterai remplacer le franc suisse par une autre monnaie.

Bonne lecture.

La Servante écarlate de Margaret Atwood

« Toutes ces femmes qui avaient un job : difficile à imaginer à présent, mais elles étaient des milliers, des millions à en avoir un. C’était normal. Aujourd’hui, c’est comme repenser aux billets de banque quand ils existaient encore. Ma mère en avait gardé quelques-uns collés dans son album de souvenirs, avec les photos les plus anciennes. Ils n’avaient plus aucune valeur, on ne pouvait rien acheter avec. Des bouts de papier, assez épais, poisseux au toucher, de couleur verte, avec des images des deux côtés, un vieux bonhomme à perruque et, au verso, une pyramide avec un œil au sommet. Ils proclamaient, En Dieu, nous croyons. D’après ma mère, les commerçants plaçaient des panneaux à côté de leur caisse pour proclamer en guise de plaisanterie : En Dieu, nous croyons, tous les autres paient comptant. Aujourd’hui, ce serait un blasphème.

Il fallait se munir de ces bouts de papier pour faire les courses, encore que la plupart des gens se soient mis aux cartes en plastique, à l’époque de mes neuf ou dix ans. Pas pour l’épicerie, cependant, ça, c’est venu après. Ça paraît très primitif, totémique même, de l’ordre des coquilles de cauris. Néanmoins, j’ai dû utiliser ce genre d’argent, pas longtemps, avant que tout soit transféré sur l’Ordinabanque.

J’imagine que c’est ce qui leur a permis de réussir leur coup, comme ils l’ont fait, brutalement, sans que personne ait vu venir quoi que ce soit. Si on en avait encore été au stade de l’argent liquide, ç’aurait été au stade de l’argent liquide, ç’aurait été plus compliqué.

C’est arrivé après la catastrophe, quand ils ont abattu le président, mitraillé le Congrès et que l’armée a instauré l’état d’urgence. Sur le moment, ils ont accusé les islamistes fanatiques.

« Restez calmes, ont-ils demandé à la télévision. Tout est sous contrôle. »

J’étais sidérée. Tout le monde l’était, je le sais. C’était difficile à croire. Le gouvernement au grand complet, anéanti d’un coup. Comment avaient-ils pu entrer ? Comment ça s’était passé ?

C’est là qu’ils ont suspendu la Constitution. Ils ont dit que ce serait temporaire. Il n’y a même pas eu d’émeutes dans les rues. Le soir, les gens restaient chez eux à regarder la télévision, à essayer de comprendre où on allait. Il n’y avait même pas moyen d’identifier un ennemi.

« Attention, m’a dit Moira un soir au téléphone. Ça se précise.

  • Qu’est-ce qui se précise ?
  • Tu vas voir. Ça fait un moment qu’ils mitonnent leur affaire. Ça sent le roussi, chérie. »

Elle avait repris une expression de ma mère, mais sans chercher à être drôle.

Malgré quelques événements notables, les choses ont tourné au ralenti pendant deux semaines. La presse a été censurée et plusieurs journaux ont été fermés, pour des raisons de sécurité, ont-ils déclaré. Les barrages routiers ont commencé à apparaître, ainsi que les Passidentitaires. Personne n’a protesté, forcément, on n’est jamais trop prudent. Ils ont dit qu’il y aurait de nouvelles élections, mais qu’il fallait le temps de les organiser. Ce qu’il fallait faire, ont-ils dit, c’était ne rien changer à notre routine.

Ils ont néanmoins fermé les Pornoshops, et les Foutre Trucks et les Pop-O-Teint qui ratissaient le Square ont disparu. Je n’ai pas pleuré. On savait tous que c’était de sacrées calamités.

« Il était grand temps qu’on réagisse », a grommelé la femme à la caisse du kiosque où j’avais l’habitude d’acheter mes cigarettes.

C’était une chaîne, située au coin de la rue : journaux, bonbons, cigarettes. La femme avait un certain âge, des cheveux gris ; elle était de la génération de ma mère.

« Ils les ont fermés ou quoi ? », j’ai demandé. Elle a haussé les épaules.

« On n’en sait rien, et on s’en fiche, a-t-elle répondu. Peut-être qu’ils les ont juste délocalisés. Les éliminer radicalement ou éradiquer des souris, c’est pareil, non ? »

Elle a tapé mon Ordinuméro sur sa caisse sans le regarder ou presque ; j’étais une habituée.

« Les gens se plaignaient », a-t-elle ajouté.

Le lendemain, en allant bosser à la bibliothèque, je me suis arrêtée au même kiosque pour m’acheter un nouveau paquet, parce que j’étais en panne. Je fumais davantage ces derniers temps, c’était la tension, on la percevait, elle avait tout d’un bourdonnement sous-jacent, alors qu’en surface tout paraissait très calme. Je buvais davantage de café aussi, et j’avais du mal à dormir. Tout le monde était un peu nerveux. À la radio, il y avait beaucoup plus de musique que d’habitude, et moins de discussions.

C’était après notre mariage, lequel semblait remonter à des années ; elle avait trois ou quatre ans, et allait à la garderie.

On s’était tous levés comme d’habitude, on avait pris notre petit déjeuner, du muesli, je me rappelle, et Luke l’avait emmenée en voiture, vêtue du petit ensemble que je lui avais déniché quelques semaines plus tôt, une salopette à rayures et un T-shirt bleu. C’était quel mois ? On devait être en septembre. En principe, un car de ramassage scolaire les récupérait, mais, va savoir pourquoi, j’avais tenu à ce que Luke la dépose, même les cars scolaires commençaient à m’inquiéter. Plus un seul gamin n’allait à pied à l’école, il y avait eu trop de disparitions.

Lorsque je suis arrivé au kiosque, la vendeuse n’y était pas. Un homme, un jeune qui n’avait manifestement pas plus de vingt ans, la remplaçait.

« Elle est malade ? lui ai-je demandé en lui tendant ma carte.

  • Qui ça ? m’a-t-il répondu sur un ton qui m’a paru agressif.
  • La dame qui est là d’habitude.
  • Comment je le saurais ? »

Il a entré mon numéro en vérifiant chaque chiffre un à un avant de le taper d’un doigt. Il était évident qu’il n’avait encore jamais fait ça. Impatiente d’avoir ma cigarette, j’ai tambouriné sur le comptoir en me demandant si quelqu’un lui avait déjà dit que ça se soignait, ces fichus boutons qu’il avait sur le cou. Je me souviens très bien de son physique : grand, un peu voûté, les cheveux bruns et courts, des yeux marrons qui semblaient se focaliser sur un point à cinq centimètres derrière le pont de mon nez et une fichue acné. Je pense que je me souviens très bien de lui, à cause de ce qu’il m’a dit ensuite :

« Désolé. Ce numéro n’est pas valide.

  • C’est ridicule, ai-je protesté. Il l’est forcément, j’ai plusieurs milliers de dollars sur mon compte. J’ai eu mon relevé il y a deux jours. Réessayez.
  • Il n’est pas valide, a-t-il répété d’un ton buté. Vous voyez cette lumière rouge ? Ça veut dire qu’il n’est pas valide.
  • Vous avez dû faire une erreur. Réessayez. »

Il a haussé les épaules et m’a décoché un sourire agacé, mais il s’est exécuté. Cette fois-ci, j’ai regardé ses doigts avec attention en vérifiant chaque chiffre à mesure qu’il s’affichait. C’était bien mon numéro, mais la lumière rouge a réapparu.

« Vous voyez ? », m’a-t-il lancé, sans se départir de son sourire crispé.

On aurait cru qu’il était au courant d’une blague qu’il n’avait pas l’intention de partager avec moi.

« Je les appellerai du bureau alors », ai-je marmonné.

Ce n’était pas la première fois que le système cafouillait, et en général il suffisait de quelques coups de fil pour rétablir les choses. Pourtant, j’étais fâchée, comme si on m’avait injustement accusée de quelque chose dont je n’avais même pas conscience. Comme si c’était moi la fautive.

« C’est ça », a-t-il grommelé.

Il n’en avait rien à faire.

J’ai laissé les cigarettes sur le comptoir, puisque je ne les avais pas payées. Je me suis dit que je pourrais en emprunter au boulot.

J’ai bien téléphoné du bureau, mais je suis tombée sur un message enregistré, et rien de plus. Les lignes sont saturées, disait le message. Est-ce que je pouvais avoir l’amabilité de rappeler ?

Pour autant que j’ai pu en juger, les lignes sont restées saturées toute la matinée. J’ai réitéré mon appel à plusieurs reprises, en vain. Ça non plus, ça n’avait rien d’exceptionnel.

[…] (passage non copié ou l’héroïne subit un licenciement collectif avec pour effet de devoir quitter immédiatement sa place de travail à la bibliothèque. Ndlr)

J’ai essayé de rappeler la banque, en vain, je suis retombée sur le même enregistrement. Je me suis servi un verre de lait – je m’étais dit que j’étais trop énervé pour un autre café -, puis suis allée m’asseoir sur le canapé du salon, j’ai laissé mon verre de lait sur la petite table, et je n’y ai pas touché.

[…]

« J’ai été virée », ai-je annoncé à Moira (une amie, ndlr). […] « Tu as essayé de passer une transaction avec ton Ordinacarte aujourd’hui ?

  • Oui. »

Je lui ai raconté ça aussi.

« Ils les ont bloquées, m’a-t-elle expliqué. La mienne aussi. Celles des comptes collectifs pareil. Tous les comptes avec un F dessus au lieu d’un M. Ils n’ont que quelques boutons à pousser, et c’est réglé. On est coupées du système.

  • Mais j’ai plus de deux mille dollars en banque, ai-je protesté, comme si mon seul cas importait.
  • Les femmes n’ont plus le droit de posséder quoi que ce soit. C’est une nouvelle loi. Tu as allumé la télé aujourd’hui ?
  • Non.
  • Ils en parlent. Sur toutes les chaînes. »

Contrairement à moi, elle n’était pas stupéfaite. Bizarrement, elle jubilait, comme si elle s’y était attendue depuis un moment et que les événements lui donnaient raison. Elle paraissait même plus énergique, plus déterminée.

« Luke peut utiliser ton Ordinacompte à ta place. Ils transféreront ton numéro sur le sien, à ce qu’ils disent, du moins. Mari ou proche partent de sexe masculin.

  • Et toi alors ? »

Elle n’avait personne.

« Je vais passer dans la clandestinité. Certains homosexuels peuvent récupérer notre numéro et nous acheter ce dont on a besoin.

  • Mais pourquoi ? Pourquoi ils font ça ?
  • Il n’y a pas à s’interroger, m’a répondu Moira. C’était forcé qu’ils fassent ça, les Ordinacomptes et les jobs en même temps. Tu imagines les aéroports sinon ? Ils ne veulent pas qu’on se barre, tu peux en être sûre. »

[…]

Luke s’est agenouillé et a noué les bras autour de moi.

« J’ai écouté la radio dans la voiture en revenant. Ne t’inquiète pas, je suis sûr que c’est provisoire.

  • Ils ont donné des raisons ? »

Il ne m’a pas répondu.

« On va passer ça, a-t-il déclaré en me serrant contre lui.

  • Tu ne sais pas ce que ça fait. J’ai l’impression qu’on m’a coupé les pieds. »

Je ne pleurais pas. Et j’étais incapable de l’enlacer.

« Ce n’est qu’un boulot, a-t-il ajouté pour essayer de m’apaiser.

  • Je présume que tu vas récupérer tout mon argent. Dire que je ne suis même pas morte. »

J’essayais de plaisanter, mais ma remarque avait un côté macabre.

« Chut, a-t-il dit, toujours à genoux. Tu sais que je ne te laisserai jamais tomber. »

J’ai pensé : voilà que je deviens parano.

« Je sais, j’ai répondu. Je t’aime. »

Plus tard, quand elle a été couchée et qu’on a dîné, je me suis sentie moins bouleversée et je lui ai raconté l’après-midi. je lui ai décrit l’irruption du directeur, la manière dont il nous avait annoncé la nouvelle (le licenciement ndlr).

« Ç’aurait été marrant si ça n’avait pas été aussi affreux, j’ai dit. J’ai pensé qu’il était soûl. Peut-être qu’il l’était. L’armée était sur place, et tout et tout. »

Puis je me suis rappelé un truc que j’avais vu, mais pas remarqué sur le coup. Ce n’était pas l’armée. C’était une armée d’un autre genre.

Il y a eu des manifestations, bien sûr, des tas de femmes et quelques hommes. Cependant, il y avait moins de monde qu’on n’aurait pu l’imaginer. Je présume que les gens avaient peur. Et elles ont immédiatement cessé quand on a su que la police, ou l’armée, ou va savoir, ouvrirait le feu, dès le début ou presque de tout rassemblement. Des bureaux de poste, des stations de métro, quelques trucs ont sauté. Mais on ne savait même pas trop qui était derrière. Ça aurait bien pu être l’armée, histoire de justifier les fouilles des ordinateurs et les autres aussi, les perquisitions de domicile.

Je n’ai participé à aucune des manifestations. Luke avait dit que ce serait inutile et qu’il fallait que je pense à eux, ma famille, à lui et à elle. C’est ce que j’ai fait. Vraiment. Je me suis mise à faire plus de ménage, plus de cuisine. J’essayais de ne pas pleurer pendant les repas. J’avais en effet commencé à pleurer, ça m’attrapait sans prévenir, et je m’asseyais à côté de la fenêtre de la chambre, pour regarder attentivement ce qui se passait dehors. Je ne connaissais pas beaucoup de voisins et, quand on se rencontrait dans la rue, on veillait à ne pas aller au-delà des politesses ordinaires. Personne n’avait envie d’être dénoncé pour manque de loyauté.

[…]

Ça ne le dérange pas, ai-je pensé. Ça ne le dérange pas du tout. Peut-être même que ça lui plaît. On ne s’appartient plus, mutuellement. À la place, je lui appartiens. Indigne, injuste, incorrect. C’est pourtant ce qui s’est passé.

Donc, Luke, ce que je veux te demander aujourd’hui, ce que j’ai besoin de savoir, c’est : avais-je raison ? Parce qu’on n’en a jamais parlé. Au moment où j’aurais pu le faire, j’ai eu peur. Je ne pouvais pas me permettre de te perdre. »