Prévoyance : quitter la Suisse

Vous êtes muté à l’étranger ? Vous souhaitez découvrir de nouveaux horizons ? Ou vous retournez dans votre pays natal, après quelques années de travail en Suisse ?

Quitter la Suisse pour l’une de ces raisons est assez fréquent et pose un grand nombre de questions sur le niveau de votre retraite. Est-ce que mes années de cotisations AVS sont perdues ? Ai-je le droit de récupérer mes 2e et 3e piliers ? Comment limiter les impôts de sortie ? À quoi penser pour l’avenir de ma prévoyance ?

Autant d’interrogations légitimes auxquelles nous allons essayer de répondre.

Cotiser à différents systèmes sociaux

Si au cours de votre carrière, vous êtes amené à travailler dans plusieurs pays, vous participerez à des stratégies de prévoyance très différente.

Prenons par exemple les cas de la France et de la Suisse. Le premier pays ne fonctionne quasiment que sur un système de répartition tandis que le second offre un mix entre répartition et capitalisation.

Dans une approche de répartition, ce sont les montants de vos cotisations actuelles qui déterminent le niveau de votre allocation de retraite futur. Nous cotisons en général une quarantaine d’années dans une telle structure, sans former d’épargne. En Suisse, le premier pilier (AVS) fonctionne ainsi sur 44 ans de contributions pour les hommes et 43 ans pour les femmes.

L’épargne est plus simple à comprendre : au travers des caisses de pensions et du 3e pilier suisses, vous accumulez un avoir qui vous sera rendu sous forme de rentes mensuelles ou de capital à la retraite.

Au fil du temps et de vos déplacements, vous construisez un puzzle de systèmes dont le tableau final ne vous apparaîtra que dans 20 ans, 30 ans ou plus. Vous avez donc tout intérêt à y accorder un minimum d’attention et de suivi afin de vous éviter des montagnes de formalités administratives la retraite venue. Mon premier conseil : gardez les preuves de vos cotisations.

L’AVS

Vous devriez conserver vos certificats de salaires annuels (reçus en début d’année pour l’année précédente). Ce document recense vos revenus perçus ainsi que le montant de vos cotisations AVS et du deuxième pilier.

Avant de quitter le pays, je vous invite également à commander un extrait individuel auprès de l’AVS. Ce dernier vous permettra de vérifier l’exactitude des salaires cotisants en plus de vous servir comme preuve à archiver. Demandez-le avant de quitter le territoire pour pouvoir échanger (et éventuellement réagir) facilement et rapidement avec l’administration ou avec un ancien employeur. Vous pouvez commander votre extrait en cliquant ici.

Vous pourrez exiger vos prestations AVS au plus tôt deux ans avant l’âge légal de la retraite, soit à 65 ans pour les hommes et à 64 ans pour les femmes. Une rente anticipée (avec un impact négatif sur la rente) peut être demandée à respectivement 63 ans et 62 ans.

Notez que, comme tout système de répartition en occident, les choses sont amenées à fortement évoluer dans les prochaines années. Le vieillissement très prononcé de la population pèsera de plus en plus lourdement sur ce dispositif. Je vous renvoie à ma série d’articles sur le sujet.

Étant donné qu’une rente pleine nécessite 43 ans à 44 ans (femmes, hommes) de cotisations, vous bénéficierez très probablement d’un montant inférieur au maximum possible.

Lorsque vous aurez atteint l’âge légal de départ à la retraite, vous devrez « simplement » vous adresser à l’AVS.

Pensez aussi que les grandes sociétés et les organismes publics peuvent proposer une expatriation avec une affiliation au système de retraite suisse. Renseignez-vous auprès de votre employeur.

L’épargne du deuxième pilier

Dans le deuxième pilier, vous capitalisez chaque mois une fraction de votre salaire avec le concours de votre employeur. Cette épargne s’accumule dans votre caisse de pension et vous rapporte des intérêts – souvent ridicules, mais c’est un autre sujet. 

Lors d’un départ définitif de Suisse, vous pourriez récupérer tout ou partie de votre avoir selon l’endroit où vous élisez domicile.

Tentons de faire simple. Si vous vous installez en dehors de l’Union européenne, vous avez le droit de mettre la main sur 100% de votre capital.  À contrario, en vous établissant en UE, vous aurez l’obligation de laisser en Suisse une portion de votre deuxième pilier jusqu’à votre retraite. Cette partie forme ce que l’on appelle l’avoir minimum selon la Loi sur la Prévoyance Professionnelle (LPP). Vous trouvez ce chiffre sur votre certificat annuel. Ce montant correspond au minimum des cotisations légales que vous avez épargnées. La part excédentaire peut se libérer sans condition d’utilisation. Vous êtes par exemple au bénéfice d’un capital de 100’000.- francs dont 20’000.- dépendant de la LPP, doivent rester en Suisse.

Retenez que ce n’est pas parce que la loi vous permet de prendre tout ou partie de votre deuxième pilier que vous devez le faire… Si vous quittez la Suisse avec 100’000.-, 200’000.- ou 1’000’000.- de francs, vous devriez vous assurer que votre nouveau pays offre les mêmes niveaux de sécurité politique et financière que la Suisse. Avant de retirer votre capital, demandez-vous pourquoi des épargnants du monde entier placent leur fortune en Suisse… Vous pourriez continuer de bénéficier des structures existantes.

Gardez en mémoire qu’indépendamment du lieu où vous emménagez, les conditions de libération valables en Suisse le sont également à l’étranger. Nous trouvons par exemple l’achat de sa résidence principale ou la retraite anticipée de cinq ans avant l’âge légal (65 ans ou 64 ans).

Que faire de mon deuxième pilier ?

Si vous décidez de laisser votre argent en Suisse, vous devrez ouvrir un compte de libre passage auprès d’une banque ou une police de libre passage dans une assurance.

Choisissez un plan qui vous offrira des rendements dans la durée. Réaliser 2% à 5% « bon an, mal an » est raisonnable si vous avez du temps devant vous. Prenez cette thématique au sérieux : 200’000.- placé à 3% entre vos 40 ans et vos 65 ans vaudront 418’000.- à la retraite. Tandis que 200’000.- juste « stockés » à 0% vaudront… 200’000.-. Traduit en termes de rente, c’est un manque à gagner d’environ 10’000.- par année !

Le troisième pilier

Que vous épargniez votre troisième pilier dans une police d’assurance ou sur un compte bancaire, les réflexions qui s’offrent à vous s’apparentent à celles du deuxième pilier. La principale différence est que vous êtes totalement libre de récupérer vos avoirs et ce, peu importe l’endroit où vous vous installerez.

Faites toutefois attention à une utilisation réfléchie de vos contrats d’assurance. Ils devraient être adaptés à votre nouvelle situation. Les rentes et la libération du paiement des primes en cas d’incapacité de gain ne pourront pas toujours être conservées et vous devrez transformer votre contrat de 3A (lié à la retraite) à 3B (libre) puisque vous ne pourrez plus bénéficier des avantages fiscaux suisses.

Un contrat d’assurance conclu récemment (une dizaine d’années) pourrait par exemple être libéré du paiement des primes (vous arrêtez de cotiser et l’argent épargné continue de porter intérêt jusqu’au retrait, généralement la retraite) ou aligné avec votre nouvelle situation. Vous devriez évaluer avant de partir vos besoins nouveaux en termes de prévoyance et de protection familiale afin d’ajuster en conséquence le niveau des cotisations et des prestations.

Pour ce qui est du troisième pilier bancaire, c’est un peu plus simple. Si vous disposez d’une dizaine d’années devant vous, vous devriez l’investir – même dans un plan conservateur – afin de maintenir au minimum la valeur de votre argent dans le temps (combattre l’inflation).

Minimiser les impôts en cas de retrait de ma prévoyance

En retirant l’un ou l’autre de vos piliers, vous serez confrontés au paiement d’un impôt de sortie sur le versement en capital.

Cet impôt est fonction de votre canton de résidence au moment du retrait du capital. Vous avez ici tout intérêt à faire transférer vos avoirs de prévoyance dans un canton qui offre une fiscalité plus avantageuse. À votre départ, vous déciderez librement du canton où votre deuxième pilier sera investi. Cela ne peut évidemment s’effectuer que lors de votre départ, sauf si vous souhaitez vous installer quelques jours à Zug ou à Schwytz…

Afin de comprendre la différence fiscale, prenons le cas de monsieur Mutation appelé à déménager dans les prochaines semaines. Domicilié à Lausanne, marié et père de deux enfants, son avoir de deuxième pilier se monte à CHF 400’000.-. Le prélèvement fiscal sur le canton de Vaud s’élèverait à 43’039.-, une sacrée somme due à l’un des cantons les plus chers du point de vue de l’impôt. En bon prévoyant, Monsieur Mutation décide d’ouvrir un dépôt de libre passage dans le canton de Schwyz et de retirer son avoir plus tard. Il divisera ainsi son impôt par presque 2 à 23’000.- !

Plus de conseils pour gérer vos avoirs de retraite

Commencez par imaginer où vous passerez votre retraite. Cela vous donnera une feuille de route sur les montants qui apparaîtront nécessaires à ce moment-là. Le coût de la vie apparaîtra comme très différent selon que vous vous installiez en France, en Espagne, aux États-Unis, à Singapour, en Thaïlande ou en Suisse. En 2021, vous viverez confortablement avec 3’000.- par mois en Europe du Sud tandis que la même somme apparaîtra insuffisante pour la Suisse.

Traitez votre capital retraite avec soin sur le long terme. Cette épargne « forcée » offre l’avantage de croître année après année et même les cigales en tireront profit. L’investir est « obligatoire » pour à minima maintenir son pouvoir d’achat. Si vous bénéficiez de suffisamment de temps devant vous, vous devriez chercher à faire mieux que juste battre l’inflation.

Vous pourriez utiliser vos avoirs de prévoyance pour acquérir votre résidence principale à l’étranger. Attention toutefois à bien étudier votre marché avant de procéder. Contrairement à une idée reçue, l’immobilier subit aussi des revers assez violents (-30% à -50% en 1990 et en 2008). Certaines régions comme l’Amérique du Nord sont connues pour être volatiles à moyen terme.

Au-delà du foncier et si vous bénéficiez d’une expérience importante en gestion de patrimoine, vous pourriez gérer vos avoirs vous-même en passant par des actifs liquides. Prêtez toutefois attention à vos émotions. Nous parlons de votre retraite, c’est-à-dire de la période où vous ne disposerez plus de salaire pour payer la vie courante.

Dans ce cas, pourquoi ne pas laisser votre fortune en Suisse ? En gardant un pied à terre patrimoniale en Suisse, votre dépôt sera préservé des banqueroutes bancaires. Peu de pays peuvent en dire autant. Je pense notamment à la France, qui, malgré le discours de François Hollande en 2012 : « mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance », a supprimé le dernier degré de protections des épargnants contre les faillites bancaires. Assez cocasse non ?

Si vous cherchez à placer correctement votre deuxième pilier, contactez-moi. Nous trouverons ensemble une solution qui vous correspond.

Argent liquide, liberté et dystopie : La Servante écarlate

c’est comme repenser aux billets de banque quand ils existaient encore. Ma mère en avait gardé quelques-uns collés dans son album de souvenirs, avec les photos les plus anciennes. Ils n’avaient plus aucune valeur, on ne pouvait rien acheter avec. Des bouts de papier, assez épais, poisseux au toucher, de couleur verte, avec des images des deux côtés, un vieux bonhomme à perruque et, au verso, une pyramide avec un œil au sommet. Ils proclamaient, En Dieu, nous croyons. D’après ma mère, les commerçants plaçaient des panneaux à côté de leur caisse pour proclamer en guise de plaisanterie : En Dieu, nous croyons, tous les autres paient comptant. Aujourd’hui, ce serait un blasphème.

Depuis près de deux ans, nous vivons dans une société singulière où de nouvelles normes se sont mises en place. Des pouvoirs ont émergé ou se sont renforcés tandis que des libertés se sont vues limitées. Au fur et à mesure que la société se transforme, les états, les compagnies et les Hommes changent un grand nombre d’habitudes. Ces changements n’ont pas épargné l’usage de l’argent liquide. Facteur de liberté, nous pouvons nous questionner sur son avenir. La littérature dystopique présente des formes et des usages de l’argent intéressants et différents de nos pratiques actuelles.

La liberté est un droit qui se définit notamment par l’absence de contrainte (Gustave Berger). L’argent liquide – le cash, le flouse, le grisbi, le blé, le fric, l’oseille… – parce qu’anonyme offre la liberté d’agir suivant sa volonté. Si demain vous ne pouviez dépenser votre argent qu’après validation d’une autorité – quelle qu’elle soit – vous auriez une entrave dans vos libertés. La technologie permet à notre époque d’encadrer et de mettre en place une monnaie numérique « de surveillance ». Ce n’est pas de la science-fiction, voyez ici la volonté de la Chine.

L’argent liquide va-t-il disparaître ? Aurons-nous toujours la liberté de payer sans téléphone ou sans carte à l’avenir ? Ces questions me semblent légitimes, tant la pression sur le cash n’a jamais été aussi forte. Depuis mars 2020, vous avez sans doute entendu chez de grands commerçants les haut-parleurs crier « payez en toute sécurité et sans contact ». Cette incitation apparaît pour le moins étrange lorsque l’on sait que ces entreprises vendent des cartes de crédit… La rente financière est évidemment importante pour l’entreprise qui détient le support de paiement grâce aux frais de transaction.

Cette pression date de plus d’une décennie et ne vient pas uniquement du secteur privé. Les états français et italiens ont depuis quelques années limité l’usage du liquide pour des raisons fiscales notamment. La France restreint par exemple l’achat d’une voiture à un professionnel à 1’000 euro cash. Le solde doit être payé par un moyen traçable tel qu’un virement ou un chèque.

Les mêmes restrictions s’appliquent pour acquérir des métaux précieux. Au revoir l’anonymat. Ce rapport entre l’anonymat et les métaux précieux n’est pas anodin. Nous connaissons plusieurs exemples de pression de l’état envers les détenteurs d’or au cours du XXe siècle. Citons par exemple les États-Unis qui ont réquisitionné l’or de leurs concitoyens en 1933 afin de lutter contre l’envolée des taux d’intérêt. En France, le gouvernement du Front populaire a procédé de la même façon en 1936 et le Général de Gaulle a récidivé entre 1944 et 1948.

Dans ce contexte de contrôle, nous trouvons des parallèles intéressants avec l’ensemble de la littérature dystopique et de science-fiction. Nous pensons évidemment à 1984 de Georges Orwell. En 2021, dans notre société de surveillance de masse naissante, Big Brother ressemblerait plutôt à Little Brothers comme l’évoque le chanteur marseillais Akhenaton. Le risque est de mon point de vue que nous ayons les deux : la surveillance du voisin associé au divide et impera (diviser pour mieux régner) de l’administration toute puissante.

English Socialism dans 1984

Pour revenir à la littérature dystopique et au-delà de 1984, nous apercevons des similitudes avec de nombreux ouvrages tels que Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, Globalia de Jean-Christophe Rufin… ou encore La Servante écarlate de la canadienne Margaret Atwood.

Le Meilleur des Mondes de Aldous Huxley

C’est un passage de ce superbe roman que j’aimerai vous partager ici. Dans ce « roman d’anticipation », sorti en 1985, et maintes fois distingué, les personnes vivent dans un régime totalitaire et se voient attribuer des rôles très spécifiques. En quelques mots, le taux de natalité s’effondre et les humains font évoluer leur société pour éviter de disparaître. Fait marrant, la république se nomme « Gilead »… toute ressemblance avec l’actualité…

Je vous propose donc un passage qui explique une partie de la transition entre « notre monde » et le monde de l’héroïne Defred. Cet extrait nous montre le rôle important que joue l’argent liquide dans notre liberté quotidienne et qu’il faut une certaine volonté et combativité pour ne pas le perdre.

Vous jetterez peut-être un œil à cet initiative populaire réclamant de passer par le peuple et les cantons au cas où la Confédération souhaiterai remplacer le franc suisse par une autre monnaie.

Bonne lecture.

La Servante écarlate de Margaret Atwood

« Toutes ces femmes qui avaient un job : difficile à imaginer à présent, mais elles étaient des milliers, des millions à en avoir un. C’était normal. Aujourd’hui, c’est comme repenser aux billets de banque quand ils existaient encore. Ma mère en avait gardé quelques-uns collés dans son album de souvenirs, avec les photos les plus anciennes. Ils n’avaient plus aucune valeur, on ne pouvait rien acheter avec. Des bouts de papier, assez épais, poisseux au toucher, de couleur verte, avec des images des deux côtés, un vieux bonhomme à perruque et, au verso, une pyramide avec un œil au sommet. Ils proclamaient, En Dieu, nous croyons. D’après ma mère, les commerçants plaçaient des panneaux à côté de leur caisse pour proclamer en guise de plaisanterie : En Dieu, nous croyons, tous les autres paient comptant. Aujourd’hui, ce serait un blasphème.

Il fallait se munir de ces bouts de papier pour faire les courses, encore que la plupart des gens se soient mis aux cartes en plastique, à l’époque de mes neuf ou dix ans. Pas pour l’épicerie, cependant, ça, c’est venu après. Ça paraît très primitif, totémique même, de l’ordre des coquilles de cauris. Néanmoins, j’ai dû utiliser ce genre d’argent, pas longtemps, avant que tout soit transféré sur l’Ordinabanque.

J’imagine que c’est ce qui leur a permis de réussir leur coup, comme ils l’ont fait, brutalement, sans que personne ait vu venir quoi que ce soit. Si on en avait encore été au stade de l’argent liquide, ç’aurait été au stade de l’argent liquide, ç’aurait été plus compliqué.

C’est arrivé après la catastrophe, quand ils ont abattu le président, mitraillé le Congrès et que l’armée a instauré l’état d’urgence. Sur le moment, ils ont accusé les islamistes fanatiques.

« Restez calmes, ont-ils demandé à la télévision. Tout est sous contrôle. »

J’étais sidérée. Tout le monde l’était, je le sais. C’était difficile à croire. Le gouvernement au grand complet, anéanti d’un coup. Comment avaient-ils pu entrer ? Comment ça s’était passé ?

C’est là qu’ils ont suspendu la Constitution. Ils ont dit que ce serait temporaire. Il n’y a même pas eu d’émeutes dans les rues. Le soir, les gens restaient chez eux à regarder la télévision, à essayer de comprendre où on allait. Il n’y avait même pas moyen d’identifier un ennemi.

« Attention, m’a dit Moira un soir au téléphone. Ça se précise.

  • Qu’est-ce qui se précise ?
  • Tu vas voir. Ça fait un moment qu’ils mitonnent leur affaire. Ça sent le roussi, chérie. »

Elle avait repris une expression de ma mère, mais sans chercher à être drôle.

Malgré quelques événements notables, les choses ont tourné au ralenti pendant deux semaines. La presse a été censurée et plusieurs journaux ont été fermés, pour des raisons de sécurité, ont-ils déclaré. Les barrages routiers ont commencé à apparaître, ainsi que les Passidentitaires. Personne n’a protesté, forcément, on n’est jamais trop prudent. Ils ont dit qu’il y aurait de nouvelles élections, mais qu’il fallait le temps de les organiser. Ce qu’il fallait faire, ont-ils dit, c’était ne rien changer à notre routine.

Ils ont néanmoins fermé les Pornoshops, et les Foutre Trucks et les Pop-O-Teint qui ratissaient le Square ont disparu. Je n’ai pas pleuré. On savait tous que c’était de sacrées calamités.

« Il était grand temps qu’on réagisse », a grommelé la femme à la caisse du kiosque où j’avais l’habitude d’acheter mes cigarettes.

C’était une chaîne, située au coin de la rue : journaux, bonbons, cigarettes. La femme avait un certain âge, des cheveux gris ; elle était de la génération de ma mère.

« Ils les ont fermés ou quoi ? », j’ai demandé. Elle a haussé les épaules.

« On n’en sait rien, et on s’en fiche, a-t-elle répondu. Peut-être qu’ils les ont juste délocalisés. Les éliminer radicalement ou éradiquer des souris, c’est pareil, non ? »

Elle a tapé mon Ordinuméro sur sa caisse sans le regarder ou presque ; j’étais une habituée.

« Les gens se plaignaient », a-t-elle ajouté.

Le lendemain, en allant bosser à la bibliothèque, je me suis arrêtée au même kiosque pour m’acheter un nouveau paquet, parce que j’étais en panne. Je fumais davantage ces derniers temps, c’était la tension, on la percevait, elle avait tout d’un bourdonnement sous-jacent, alors qu’en surface tout paraissait très calme. Je buvais davantage de café aussi, et j’avais du mal à dormir. Tout le monde était un peu nerveux. À la radio, il y avait beaucoup plus de musique que d’habitude, et moins de discussions.

C’était après notre mariage, lequel semblait remonter à des années ; elle avait trois ou quatre ans, et allait à la garderie.

On s’était tous levés comme d’habitude, on avait pris notre petit déjeuner, du muesli, je me rappelle, et Luke l’avait emmenée en voiture, vêtue du petit ensemble que je lui avais déniché quelques semaines plus tôt, une salopette à rayures et un T-shirt bleu. C’était quel mois ? On devait être en septembre. En principe, un car de ramassage scolaire les récupérait, mais, va savoir pourquoi, j’avais tenu à ce que Luke la dépose, même les cars scolaires commençaient à m’inquiéter. Plus un seul gamin n’allait à pied à l’école, il y avait eu trop de disparitions.

Lorsque je suis arrivé au kiosque, la vendeuse n’y était pas. Un homme, un jeune qui n’avait manifestement pas plus de vingt ans, la remplaçait.

« Elle est malade ? lui ai-je demandé en lui tendant ma carte.

  • Qui ça ? m’a-t-il répondu sur un ton qui m’a paru agressif.
  • La dame qui est là d’habitude.
  • Comment je le saurais ? »

Il a entré mon numéro en vérifiant chaque chiffre un à un avant de le taper d’un doigt. Il était évident qu’il n’avait encore jamais fait ça. Impatiente d’avoir ma cigarette, j’ai tambouriné sur le comptoir en me demandant si quelqu’un lui avait déjà dit que ça se soignait, ces fichus boutons qu’il avait sur le cou. Je me souviens très bien de son physique : grand, un peu voûté, les cheveux bruns et courts, des yeux marrons qui semblaient se focaliser sur un point à cinq centimètres derrière le pont de mon nez et une fichue acné. Je pense que je me souviens très bien de lui, à cause de ce qu’il m’a dit ensuite :

« Désolé. Ce numéro n’est pas valide.

  • C’est ridicule, ai-je protesté. Il l’est forcément, j’ai plusieurs milliers de dollars sur mon compte. J’ai eu mon relevé il y a deux jours. Réessayez.
  • Il n’est pas valide, a-t-il répété d’un ton buté. Vous voyez cette lumière rouge ? Ça veut dire qu’il n’est pas valide.
  • Vous avez dû faire une erreur. Réessayez. »

Il a haussé les épaules et m’a décoché un sourire agacé, mais il s’est exécuté. Cette fois-ci, j’ai regardé ses doigts avec attention en vérifiant chaque chiffre à mesure qu’il s’affichait. C’était bien mon numéro, mais la lumière rouge a réapparu.

« Vous voyez ? », m’a-t-il lancé, sans se départir de son sourire crispé.

On aurait cru qu’il était au courant d’une blague qu’il n’avait pas l’intention de partager avec moi.

« Je les appellerai du bureau alors », ai-je marmonné.

Ce n’était pas la première fois que le système cafouillait, et en général il suffisait de quelques coups de fil pour rétablir les choses. Pourtant, j’étais fâchée, comme si on m’avait injustement accusée de quelque chose dont je n’avais même pas conscience. Comme si c’était moi la fautive.

« C’est ça », a-t-il grommelé.

Il n’en avait rien à faire.

J’ai laissé les cigarettes sur le comptoir, puisque je ne les avais pas payées. Je me suis dit que je pourrais en emprunter au boulot.

J’ai bien téléphoné du bureau, mais je suis tombée sur un message enregistré, et rien de plus. Les lignes sont saturées, disait le message. Est-ce que je pouvais avoir l’amabilité de rappeler ?

Pour autant que j’ai pu en juger, les lignes sont restées saturées toute la matinée. J’ai réitéré mon appel à plusieurs reprises, en vain. Ça non plus, ça n’avait rien d’exceptionnel.

[…] (passage non copié ou l’héroïne subit un licenciement collectif avec pour effet de devoir quitter immédiatement sa place de travail à la bibliothèque. Ndlr)

J’ai essayé de rappeler la banque, en vain, je suis retombée sur le même enregistrement. Je me suis servi un verre de lait – je m’étais dit que j’étais trop énervé pour un autre café -, puis suis allée m’asseoir sur le canapé du salon, j’ai laissé mon verre de lait sur la petite table, et je n’y ai pas touché.

[…]

« J’ai été virée », ai-je annoncé à Moira (une amie, ndlr). […] « Tu as essayé de passer une transaction avec ton Ordinacarte aujourd’hui ?

  • Oui. »

Je lui ai raconté ça aussi.

« Ils les ont bloquées, m’a-t-elle expliqué. La mienne aussi. Celles des comptes collectifs pareil. Tous les comptes avec un F dessus au lieu d’un M. Ils n’ont que quelques boutons à pousser, et c’est réglé. On est coupées du système.

  • Mais j’ai plus de deux mille dollars en banque, ai-je protesté, comme si mon seul cas importait.
  • Les femmes n’ont plus le droit de posséder quoi que ce soit. C’est une nouvelle loi. Tu as allumé la télé aujourd’hui ?
  • Non.
  • Ils en parlent. Sur toutes les chaînes. »

Contrairement à moi, elle n’était pas stupéfaite. Bizarrement, elle jubilait, comme si elle s’y était attendue depuis un moment et que les événements lui donnaient raison. Elle paraissait même plus énergique, plus déterminée.

« Luke peut utiliser ton Ordinacompte à ta place. Ils transféreront ton numéro sur le sien, à ce qu’ils disent, du moins. Mari ou proche partent de sexe masculin.

  • Et toi alors ? »

Elle n’avait personne.

« Je vais passer dans la clandestinité. Certains homosexuels peuvent récupérer notre numéro et nous acheter ce dont on a besoin.

  • Mais pourquoi ? Pourquoi ils font ça ?
  • Il n’y a pas à s’interroger, m’a répondu Moira. C’était forcé qu’ils fassent ça, les Ordinacomptes et les jobs en même temps. Tu imagines les aéroports sinon ? Ils ne veulent pas qu’on se barre, tu peux en être sûre. »

[…]

Luke s’est agenouillé et a noué les bras autour de moi.

« J’ai écouté la radio dans la voiture en revenant. Ne t’inquiète pas, je suis sûr que c’est provisoire.

  • Ils ont donné des raisons ? »

Il ne m’a pas répondu.

« On va passer ça, a-t-il déclaré en me serrant contre lui.

  • Tu ne sais pas ce que ça fait. J’ai l’impression qu’on m’a coupé les pieds. »

Je ne pleurais pas. Et j’étais incapable de l’enlacer.

« Ce n’est qu’un boulot, a-t-il ajouté pour essayer de m’apaiser.

  • Je présume que tu vas récupérer tout mon argent. Dire que je ne suis même pas morte. »

J’essayais de plaisanter, mais ma remarque avait un côté macabre.

« Chut, a-t-il dit, toujours à genoux. Tu sais que je ne te laisserai jamais tomber. »

J’ai pensé : voilà que je deviens parano.

« Je sais, j’ai répondu. Je t’aime. »

Plus tard, quand elle a été couchée et qu’on a dîné, je me suis sentie moins bouleversée et je lui ai raconté l’après-midi. je lui ai décrit l’irruption du directeur, la manière dont il nous avait annoncé la nouvelle (le licenciement ndlr).

« Ç’aurait été marrant si ça n’avait pas été aussi affreux, j’ai dit. J’ai pensé qu’il était soûl. Peut-être qu’il l’était. L’armée était sur place, et tout et tout. »

Puis je me suis rappelé un truc que j’avais vu, mais pas remarqué sur le coup. Ce n’était pas l’armée. C’était une armée d’un autre genre.

Il y a eu des manifestations, bien sûr, des tas de femmes et quelques hommes. Cependant, il y avait moins de monde qu’on n’aurait pu l’imaginer. Je présume que les gens avaient peur. Et elles ont immédiatement cessé quand on a su que la police, ou l’armée, ou va savoir, ouvrirait le feu, dès le début ou presque de tout rassemblement. Des bureaux de poste, des stations de métro, quelques trucs ont sauté. Mais on ne savait même pas trop qui était derrière. Ça aurait bien pu être l’armée, histoire de justifier les fouilles des ordinateurs et les autres aussi, les perquisitions de domicile.

Je n’ai participé à aucune des manifestations. Luke avait dit que ce serait inutile et qu’il fallait que je pense à eux, ma famille, à lui et à elle. C’est ce que j’ai fait. Vraiment. Je me suis mise à faire plus de ménage, plus de cuisine. J’essayais de ne pas pleurer pendant les repas. J’avais en effet commencé à pleurer, ça m’attrapait sans prévenir, et je m’asseyais à côté de la fenêtre de la chambre, pour regarder attentivement ce qui se passait dehors. Je ne connaissais pas beaucoup de voisins et, quand on se rencontrait dans la rue, on veillait à ne pas aller au-delà des politesses ordinaires. Personne n’avait envie d’être dénoncé pour manque de loyauté.

[…]

Ça ne le dérange pas, ai-je pensé. Ça ne le dérange pas du tout. Peut-être même que ça lui plaît. On ne s’appartient plus, mutuellement. À la place, je lui appartiens. Indigne, injuste, incorrect. C’est pourtant ce qui s’est passé.

Donc, Luke, ce que je veux te demander aujourd’hui, ce que j’ai besoin de savoir, c’est : avais-je raison ? Parce qu’on n’en a jamais parlé. Au moment où j’aurais pu le faire, j’ai eu peur. Je ne pouvais pas me permettre de te perdre. »

Valeur locative : payer des impôts ou des intérêts hypothécaires ?

Nous lisons régulièrement que fiscalement parlant : acheter sa résidence principale à crédit est plus avantageux que de la payer comptant. Cette affirmation est-elle vraie ? Les intérêts hypothécaires déductibles de la valeur locative pénalisante, permettent-ils de limiter la hausse d’impôts sur le revenu, inévitable lors d’un achat ? Tentons d’y voir plus clair.

Si vous voulez mon avis (je vous le donne de toute façon :)), l’utilité de l’emprunt ne doit pas être posée d’un point de vue fiscal, mais d’un point de vue patrimonial.

Lorsque l’on façonne son patrimoine, la fiscalité doit bien sûr être abordée, mais reste secondaire. Prendre un certain recul sur ses actifs est nécessaire ! Vous devriez vous poser plusieurs questions comme les rendements attendus, les coûts des dettes, les échéances, la diversification, etc. Cette vision globale permet d’avancer intelligemment et de sortir d’un schéma de réflexion à la perspective limitée.

Avant d’aller plus loin, je vous propose un petit refresh sur l’incidence de la valeur locative.

Qu’est-ce que la valeur locative ?

Les détenteurs d’un bien immobilier perçoivent selon le fisc un avantage par rapport aux locataires. Ce privilège est tout relatif puisque le propriétaire devra régler les factures d’entretien, de chauffage, les taxes locales, les assurances… tout comme un locataire qui se les fera répercuter par son bailleur.

Le propriétaire devra en plus veiller à maintenir un niveau de dette raisonnable afin de ne pas se laisser piéger par une hausse des taux d’emprunt ou par un krach immobilier.

Donc, pour corriger cette soi-disant « inégalité », les impôts infligent aux propriétaires une rémunération fictive qui s’ajoute aux revenus imposables issus du travail et du patrimoine. C’est la valeur locative.

Ce revenu est frappé à votre taux marginal d’impôt soit, pour simplifier, entre 25% et 45% sur le canton de Vaud. Prenons un cas pratique pour illustrer mon propos.

La valeur locative, concrètement

Madame et monsieur Suisse ont deux enfants et perçoivent 160’000.- de salaires annuels. Jusqu’à aujourd’hui ils étaient locataires. Depuis quelques mois, ils ont acquis un appartement de plain-pied en région lausannoise.

Au moment de remplir leur déclaration d’impôts, les Suisses se rendent comptent qu’ils doivent y inscrire deux nouveaux chiffres : la valeur fiscale de leur logement et la fameuse valeur locative. La valeur fiscale est notée en tant que fortune tandis que la valeur locative apparaît à titre de revenu.

Le fisc évalue la valeur locative de leur bien à 28’000.- francs annuels. Cette valeur correspond plus ou moins au montant qu’ils pourraient percevoir en louant leur appartement. Ces 28’000.- virtuels seront taxés à environ 25% (leur taux marginal d’impôt) et alourdiront leur facture d’impôts de 7’000.- par année. Cette augmentation énorme fait progresser leur note fiscale de 38% en passant de 18’400.- à 25’400.-.

Notre famille de propriétaires pourra toutefois soustraire un forfait de 20% de la valeur locative à titre d’entretien, ce qui abaissera l’addition à 5’600.-. Le montant des intérêts hypothécaires, qui pour l’exemple s’élève à 12’000.- annuels (1 million de francs à 1.2%) devront également être déduit. Se faisant, leur valeur locative nette (imposable) tombera à 10’400.- par année, ramenant l’augmentation d’impôt final à 2’500.- environ (+13.5%).

Et le gagnant est… les impôts

Nous pouvons dégager de ce cas une première conclusion : la famille Suisse aurait, d’un point de vue fiscal, avantage à payer cash sa résidence plutôt que de recourir à l’emprunt. En effet, la majoration d’impôts de 5’600.- reste inférieure aux 12’000.- d’intérêts hypothécaires additionnés des 2’500.- fiscaux. On nous mentirait donc ? Je vous laisse deviner à qui profite cette idée répandue.

En réalité, qui a le cash pour acheter sa maison ?

Relevons toutefois que très peu de personnes ont la possibilité de s’offrir leur logement sans avoir à prendre un emprunt. Mais surtout, et comme je le mentionnais en début d’article, ce n’est pas du point de vue fiscal qu’il y a avantage à contracter une dette hypothécaire, mais d’un point de vue patrimonial.

Rendement versus taux d’emprunt

Admettons que notre famille suisse dispose du million nécessaire pour acheter son domicile principal. Dans ce cas, elle doit arbitrer (choisir) entre deux solutions : payer comptant son bien immobilier ou recourir à l’emprunt tout en injectant ailleurs son million.

Et la vraie réponse réside ici : dans la comparaison entre d’une part, le coût d’emprunt additionné de la hausse d’impôt, et d’autre part, de la rentabilité perçue à long terme sur l’épargne investie.

Dans l’exemple précédent, nous avons conclu que s’endetter coûtait 14’500.- par an (12’000.- d’intérêts hypothécaires plus une hausse d’impôts de 2’500.-) contre 5’600.- sans emprunt. Sachant que la différence de prix se chiffre à 8’900.- (14’500.- moins 5’600.-), vous pouvez calculer facilement le rendement nécessaire pour atteindre une situation neutre : 0.89% net (8’900.- divisé par 1 million) soit environ 1.15% brut par année.

Nous pouvons même aller plus loin et dire que pour effacer la hausse d’impôt et le coût d’emprunt, un rendement net de 1.45% est suffisant, ce qui correspond à peu près à 1.9% brut.

Réaliser une moyenne supérieure à ce rendement n’est pas très compliqué et étant donné qu’acheter sa résidence principale relève d’un acte de long terme (15-25 ans), votre horizon-temps pour votre placement peut viser une durée équivalente. Vous vous offrez ainsi une sécurité bienvenue avec une probabilité de bénéfice largement supérieure au 1.9% annuel de mon exemple.

Ce raisonnement reste pertinent pour la question de l’amortissement (remboursement) de l’emprunt. Vous auriez meilleur temps de placer votre épargne plutôt que de diminuer année après année votre dette. Je parle de l’effet de levier dans cet article.

Conclusion

Lorsque j’évoque le long terme pour l’immobilier, je ne veux pas dire que vous aurez encore votre bien actuel dans 25 ans, mais que vous avez de fortes chances de demeurer propriétaire à long terme (achat, revente…). Et surtout si vous gérez correctement votre patrimoine.

L’exemple de cet article nous montre qu’il est faux de dire que l’emprunt est moins onéreux que les impôts. La dette hypothécaire permet toutefois de réaliser des gains à long terme. Les taux bas actuels plaident également dans ce sens.

Se faire assister par un conseiller financier global qui prend en compte l’aspect investissement de long terme est vivement recommandé lors de l’achat de sa résidence principale.

Cet article a été posté en tant qu’invité sur le site investir.ch dont je vous recommande vivement la lecture. Vous y trouverez de nombreuses analyses sur l’économie, l’immobilier ou encore la prévoyance dans notre pays.