Mes clients et mes lecteurs réguliers le savent : je recommande fortement de rembourser sa dette immobilière.
Au-delà de l’émancipation évidente vis-à-vis du prêteur, nous trouvons deux arguments supplémentaires à procéder ainsi. Le premier consiste à accroître la sécurité de notre famille (et de notre patrimoine), tandis que le second permet de dégager des rendements sur une épargne nouvelle qui restait jusqu’alors (location) une dépense inutilisable.
Pourtant, par méconnaissance ou par impatience, la majorité des Suisses ne semblent pas accomplir grand-chose pour conserver à long terme le coût de vie faible qu’ils viennent de s’offrir en devenant propriétaires.
Les taux d’intérêt bas paraissent plutôt nous inciter à augmenter notre train de vie. C’est insidieux parce que dans la réalité, le montant global des dépenses n’aura pas bougé. Prenons l’exemple d’un couple qui déboursait jusqu’alors 40’000.- francs par an de loyer en tant que locataire. En devenant propriétaire, il pourrait payer 20’000.- pour se loger et 20’000.- en nouvelles consommations, sans accroître ses revenus.
La loi de Parkinson explique que « tout travail au sein d’une administration augmente jusqu’à occuper entièrement le temps qui lui est affecté ». Une analogie pourrait poser que toute économie dégagée grâce à l’achat immobilier, est dépensée jusqu’à ce que le budget familial retrouve son état précédent. 🙂
Diviser son coût de logement par deux ?
Un rapide coup d’œil sur le parc automobile suisse, neuf et haut de gamme, permet partiellement de s’en convaincre. Si BMW ou Mercedes ne vendaient des voitures qu’aux millionnaires, ça se saurait.
Un autre poste budgétaire qui augmente souvent lorsque l’on divise son loyer par deux est formé des loisirs et des voyages notamment (remarquez que grâce à nos dirigeants, nous pourrons bientôt supprimer ce poste).
Diviser le coût du logement par deux ? Oui, c’est bien de cela que nous discutons. Aujourd’hui, et à surface égale, diminuer de deux fois son coup d’habitation est possible. Les taux bas le permettent souvent malgré les prix élevés.
Sans tomber dans la mesquinerie, il peut être bénéfique de définir une stratégie sur quinze à vingt-cinq ans, pour rembourser sa dette immobilière. Notez que la plupart des nations qui nous entourent pratiquent ainsi.
Qui sont les propriétaires immobiliers en Suisse ?
Avant d’aller plus loin, il peut être utile de comprendre le fonctionnement du crédit hypothécaire.
Bien que la tendance tende à s’inverser depuis dix ans, la Suisse est un pays de locataire. Et s’il y a des locataires, c’est qu’il existe forcément des propriétaires. Qui sont-ils et comment gèrent-ils leurs dettes immobilières ?
Les fonds de pension (2e pilier), les banques et les assurances regroupent la majorité des propriétaires.
Comment ces acteurs manient-ils leurs parcs fonciers ? D’abord, ils ont une vision patrimoniale de long terme, souvent sur plus de 25 ans. C’est intéressant, car en tant qu’humain, nous avons une difficulté assez importante à nous projeter à long terme. Adopter une telle vision permet à ces entités de faire abstraction des soubresauts économiques inévitables à court terme.
Munis de cet esprit positif, ils achètent de l’immobilier qui leur apportera des loyers quasi constants et récurrents. Dans un deuxième temps, ils peuvent hypothéquer une partie de leurs investissements immobiliers, et réinjecter cet argent sur des marchés plus volatils à court terme, mais plus rentable à long terme. Je parle ici des actions, des obligations, des matières premières, des métaux précieux… Notez que ces placements offrent encore l’avantage de la liquidité (facilement divisible contrairement à l’immobilier).
Pour mieux comprendre le fonctionnement de l’hypothèque, vous pouvez également jouer au Monopoly l’hiver prochain. 😉
Il fait beau…
En procédant ainsi, ces acteurs profitent à plein de ce que l’on appelle l’effet de levier.
Quelle chance ! Dans notre pays, nous pouvons jouir quasi totalement de ce levier financier grâce au système hypothécaire. Le hic réside dans le fait que quand le soleil brille (les taux bas actuels), on oublie que le ciel peut s’assombrir. Le passé peut se rappeler à notre bon souvenir. Je fais ici allusion à la crise immobilière des années 1990, qui a entraîné passablement de faillites chez des particuliers. Les taux d’intérêt hypothécaires ont monté à plus de 8% tandis que les prix du foncier divisés par deux dans certaines régions.
Sans retourner jusqu’aux années 1990, la crise actuelle du covid nous montre qu’un monde « plat » et tranquille n’existe pas.
Vous pourriez me rétorquer que les taux ne remonteront jamais à 8% ! Êtes-vous certain de ce qu’il se passera dans 20 ans ? Et même si vous aviez raison, retenez la multiplication des taux d’emprunt par 4 en 2 ans en 1990. En appliquant ce facteur de quatre et avec les taux actuels compris entre 0.65% et 1.5%, cela pourrait nous porter sur des prix entre 2.6% et 6%. Pile dans la moyenne historique des 4.5% ! Ce taux est généralement utilisé par les prêteurs pour calculer votre faisabilité.
Prenons un exemple. Mettons que votre loyer hypothécaire (le coût des intérêts) s’élève aujourd’hui à 15’000.- par année. En multipliant ce coût par quatre, vous obtenez un nouveau prix de 60’000.- par an. Si dans la même période, vos enfants commencent leurs études supérieures ou si vous entamez votre retraite, le manque à gagner peut-être énorme. Un enfant aux études « coûte » en moyenne 11’000.- à 22’000.- par année tandis que la perte de revenu à la retraite se monte à plus de 40%…
Amortissement direct VS amortissement indirect
Maintenant que nous avons vu les arguments en faveur du remboursement, tentons de comprendre les différentes possibilités qui s’offrent à vous.
Dans les grandes lignes, vous disposez de deux méthodes pour vous acquitter de votre dette : l’amortissement direct et l’amortissement indirect. Dans le jargon hypothécaire, rembourser se dit amortir. Notez que ce terme, emprunté au domaine comptable, n’est pas anodin et nous rappelle bien l’aspect purement financier de l’opération hypothécaire.
La première méthode, simple et connue de tous, consiste à diminuer sa dette directement, en versant, chaque mois ou chaque trimestre, une somme généralement fixe et déterminée par avance au prêteur.
Le remboursement indirect quant à lui, revient à constituer une épargne. Cette épargne pourra être investie et le montant de l’emprunt restera fixe pendant une durée définie de quelques mois ou de plusieurs années. Certaines banques, assurances et caisses de pension prêtent à taux fixe jusqu’à 25 ans tandis que la durée la plus courte majoritairement reconnue est basée sur le libor à 3 mois.
La combinaison des deux méthodes reste évidemment possible.
Transférez l’inflation au prêteur et prenez les gains.
Si vous êtes d’avis que sur le long terme l’immobilier s’apprécie de plus ou moins l’inflation, vous auriez tout intérêt à rembourser indirectement votre dette. Ainsi, tandis que le prix de votre bien augmentera, votre dette diminuera en proportion de la valeur du bien.
Illustrons ce propos : imaginons que vous payez votre résidence 100.- et que vous empruntez 80.- grâce à vos 20.- de fonds propres. Votre endettement se monte donc à 80%. Nous nous retrouvons 20 ans plus tard. Votre maison vaut raisonnablement sur le marché 120.- et vous n’avez pas touché votre dette de 80.-. Magie : votre dette est passée de 80% à 66.67% (ou 2/3) de la valeur du bien. Si votre revenu de retraité le permet, vous n’avez rien à rembourser, car vous resterez dans les « clous » du pourcentage maximum de dette admise à la retraite.
En agissant de la sorte, vous vous êtes « enrichis » sans gros effort et vous avez transféré l’inflation au prêteur qui a vu la valeur de « son argent » diminuer. Vous ne serez néanmoins pas libéré de la dette qui vaudra toujours 80.- et qui pourra voir son coût (taux d’intérêt) augmenter.
Si à l’inverse vous demeurez résolument pessimiste et que le spectre de la déflation vous hante, vous aurez tout intérêt à procéder de la façon inverse en remboursant le plus vite possible votre dette.
Attention, pensez à bien prendre en compte l’élément fiscal dans ce dernier cas. Car c’est le revers de la médaille : en diminuant votre dette, vous amenuisez votre facture d’intérêts. Le montant des charges fiscalement admises se réduit et augmente votre revenu imposable, notamment à cause de votre valeur locative inchangée. Eh oui, vous aurez à choisir entre payer des impôts et payer le prêteur.
Les 1%
Dans le schéma d’emprunt classique à 80% (20% de fonds propres et 80% d’hypothèque), le prêteur exigera de votre part un amortissement direct ou indirect d’environ 1% de la valeur du bien chaque année. À ce rythme-là, vous aurez remboursé votre crédit dans… 100 ans.
Vous pouvez opposer ces 100 ans aux 15 ou 25 ans que je mentionnais au début de l’article. En appliquant une telle stratégie, vous devriez donc consacrer non pas 1%, mais plutôt 4% pour amortir en 25 ans, 5% pour 20 ans et 6.7% pour 15 ans. Soit 7 à 4 fois plus que ce que réclame votre prêteur.
Oui, mais… ceci est vrai seulement si vous diminuez directement votre dette ou si vous économisez sur un compte épargne qui rémunère 0%.
En épargnant indirectement plutôt que directement, et en cherchant une alternative d’investissement rentable, vous pourrez réduire la quantité de capital à allouer au remboursement de votre dette.
Retenez qu’en optant pour un amortissement indirect, vous aurez tout intérêt à ne « donner » au prêteur que le pour cent qu’il souhaite en garantie et pas plus. Vous conservez ainsi une marge de manœuvre et une liberté intéressante. Nous verrons dans un prochain article comment vous pouvez profiter de l’effet de levier en amortissant indirectement votre dette.
Cet article a été posté en tant qu’invité sur le site investir.ch dont je vous recommande vivement la lecture. Vous y trouverez de nombreuses analyses sur l’économie, l’immobilier ou encore la prévoyance dans notre pays.