Lorsque je demande à mes clients les éléments qui leur importent en priorité pour leurs investissements, ils me répondent souvent le risque et le rendement. Étant donné que nous avons abordé le rendement des classes d’actifs dans cet ici, je vous propose, pour compléter notre série sur l’indépendance financière, de discuter de la notion de risque qui, fait surprenant, a plus à voir avec les émotions qu’avec la rationalité.
Si vous avez lu les articles précédents, vous avez normalement compris que le temps et la discipline sont des éléments primordiaux dans la construction d’un patrimoine sûr et rentable. En recherchant un minimum de diversification dans vos actifs, vous construirez un patrimoine asynchrone, ce qui lui permettra d’affronter différents cycles économiques tout en limitant ses fluctuations de valeurs.
Un patrimoine asynchrone pourrait par exemple contenir 50% d’immobilier, 40% d’actions et 10% d’or physique. Voyons cela.
Faut-il vraiment diversifier ses investissements (et donc son risque) ?
Chaque actif (or, action, obligation, immobilier etc.) voit ses fluctuations de valeurs décorréler de celle des autres actifs qui composent votre patrimoine. Dans le graphique ci-dessous, vous pouvez observer trois courbes de rendement évoluer à des rythmes différents.
L’or est en noir, l’immobilier suisse est en bleu (un fonds du Crédit Suisse) et le SMI est en orange (20 principales actions suisses). Ces actifs n’évoluent pas au même rythme. C’est à dire qu’ils ne sont pas corrélés entre eux sur le long terme, même s’ils peuvent l’être sur des courtes périodes.
Ce graphique reflète bien l’effet que la diversification d’actifs peut apporter sur le risque global d’un portefeuille en limitant les pertes (et les gains). Mais selon votre propension à prendre des risques (et à espérer un rendement plus élevé), vous pourriez la juger inutile. En effet, il semble que le gain de sécurité obtenu par cette diversification n’est qu’une vue de l’esprit. La notion de risque liée à la perte et au gain potentiel est une affaire psychologique individuelle. Ainsi, votre aversion ou votre propension à prendre des risques différera de celle de votre voisin.
Prenons l’exemple de Warren Buffett, l’un des investisseurs contemporains les plus célèbres. Sa fortune est essentiellement composée d’entreprises (des actions) via la société dont il est actionnaire majoritaire Berkshire Hathaway. Son patrimoine est diversifié en entreprises (actions) mais pas en classe d’actifs à proprement parler. Autrement dit : lorsque les marchés actions subissent un « krach » comme en 1974, 1990, 1997, 2001, 2008 ou 2018 (!) son patrimoine subit la baisse du marché action sans aucun élément contrebalançant cette baisse.
L’appétit du risque
Quel rapport avec la propension au risque me direz-vous ? C’est que Warren Buffett voit ces baisses temporaires (pouvant quand même afficher jusqu’à -48.7% en 1974 !) comme des opportunités d’achats intéressantes offertes par le marché. Il a donc une propension au risque assez élevée. J’ajouterai qu’il est demandeur de marché baissier puisqu’il cherche à acquérir à bon compte des entreprises quelque peu délaissées par le marché (bourse).
Pour les curieux et en cliquant ici, vous arriverez sur le rapport financier 2018 de Berkshire Hathaway. Allez à la page 4 pour observer les performances du fonds de Warren Buffett (et Charles Munger, son associé) entre 1965 et 2018. Une performance moyenne annuelle de 20.5% entre 1965 et 2018 et de 12.2% sur les dix dernières années. Intéressant non ? 🙂
Notez toutefois que Berkshire Hathaway diversifie le nombre d’entreprises qui la composent. 15 entreprises forment près de 90% de la valeur totale du fonds (valeur de marché à fin 2018).
En d’autres termes là où beaucoup voient la fin de leur monde, d’autres voient des opportunités.
J’ai pris l’exemple de Warren Buffet mais il existe beaucoup d’investisseurs qui travaillent de la même façon, en concentrant leurs investissements : les investisseurs immobiliers (vous avez sans doute deux trois noms qui vous viennent en tête en Suisse romande), des personnes comme Jim Rogers pour les matières premières, Peter Lynch aussi pour les actions… Et pour faire encore plus « simple », vous trouvez tout autour de vous des entrepreneurs de petites et moyennes entreprises qui investissent dans leur propre société.
Donc la perception du risque semble être une affaire psychologique. Si vous ne le croyez pas, faisons ensemble un petit jeu avec des billets de loterie.
Le risque est aussi une histoire de probabilité – Jouons ensemble.
Avant de commencer, demandez aux personnes autour de vous de participer et de jouer avec vous (sans lire les réponses tout de suite !). Vous pourrez échanger entre vous sur votre propension et votre aversion au risque.
Premier jeu
Vous avez le choix entre deux billets de loterie pour une dizaine de francs :
- Le billet 1 vous donne 100% de chance (probabilité) de gagner 2’500.- francs.
- Tandis que le billet 2 vous donne :
- 50% de chance de gagner 0.- franc et
- 50% de chance de gagner 5’000.- francs.
Quel billet choisissez-vous ? Je vous laisse quelques secondes (sérieusement, prenez quelques secondes). Tic tac, tic tac…
Personnellement je choisis le billet 1. Mais si 2’500.- ne représentent pas grand chose pour vous ou si votre propension au risque (et à l’opportunité) est grande, vous aurez peut être choisi le billet 2.
Sachez juste que l’espérance de gain mathématique de ces deux billets est la même ! C’est à dire 2’500.-.
Pour les « non matheux », voici le résultat des opérations : 100% X 2’500.- = 50% X 0.- + 50% X 5’000.- = 2’500.-.
Et si ces billets valaient 2’400.-, auriez-vous répondu différemment ?
Deuxième jeu
Vous avez encore une fois le choix entre deux billets. 🙂
Le billet 1 vous offre :
- 50% de chance de gagner 5’000.-
- 50% de chance de gagner 15’000.-.
Le billet 2 vous offre :
- 95% de chance de gagner 4’000.- francs
- 5% de chance de gagner 125’000.-.
Prenez quelques secondes de réflexion. Quel billet préférez-vous avoir ?
Avez-vous résisté au chiffre de 125’000.- ou au contraire, vous avez sauté dessus ?
Le fait est que l’espérance mathématique du billet 1 est supérieure (10’000.-) à celle du billet 2 (9’800.-).
Et quelle aurait été votre réponse si ces billets valaient 5’000.- ?
Un troisième jeu, l’euro millions
Beaucoup d’entre vous (si si 🙂 ) jouent à l’Euro Millions.
Et une grande partie d’entre nous jouent plusieurs grilles. C’est pourtant inutile (et illusoire) car la probabilité de gagner le gros lot à l’euro millions avec une grille est de 1 chance sur 139’838’160.
Expliquez-moi s’il vous plaît à quoi il sert d’avoir 10 ou même 100 chances de plus (et donc d’acheter autant de grilles) de « gagner » avec une probabilité infinitésimale ? 🙂
Si vous vouliez augmenter vos chances à une sur cent (1%), vous pourriez acheter 1’500’000 grilles et dépenser plus de 5 millions de francs !
Notez que a probabilité de perte (gain inférieur à la mise) est de 92.29% et la probabilité de gain (gain supérieur à la mise) est de une sur treize (7.71%).
Par contre il est vrai qu’entre ne pas jouer (0 chance) et jouer (1 chance) cela peut faire la différence. Ceci n’est pas une incitation à jouer aux jeux de hasard…
Je vous dis que le risque est une affaire psychologique
Une lumière supplémentaire sur le risque est apportée dans de nombreuses études psychologiques. Robert Hagstrom, dans son excellent livre le portefeuille de Warren Buffett, en résume une partie que je cite ici :
L’aversion asymétrique aux pertes
« Selon de nombreuses expériences (notamment celles de Richard Thaler), la douleur provoquée par une perte est bien plus forte que le plaisir éprouvé par un gain. Les gens auraient besoin de deux fois plus d’expériences positives pour triompher d’une expérience négative. Sur un pari à 50/50, où les chances sont égales, la majorité des gens ne prendront aucun risque à moins d’avoir un potentiel de gain deux fois supérieur au potentiel de perte.
Cette constante est connue sous le nom d’aversion asymétrique aux pertes. Le risque négatif a un impact plus lourd que le risque positif, et c’est une composante fondamentale de la psychologie humaine. Dans le cadre de son application au marché boursier, cela veut dire que les gens se sentent deux fois plus mal quand ils perdent qu’ils ne se sentent bien quand ils gagnent.
(…) Cette aversion aux pertes rend les investisseurs bien trop conservateurs. Les détenteurs de plans de retraite par actions (équivalent de nos caisses de pension ndlr) dont l’horizon de temps s’étend sur des décennies, conservent tout de même jusqu’à 30% ou 40% de leur argent investi sur le marché obligataire. Pourquoi ? Seule une aversion pour le risque profondément enracinée en nous provoque une allocation de fonds aussi prudente. Mais l’aversion aux pertes peut vous toucher d’une façon beaucoup plus immédiate, en vous poussant à vous accrocher de façon irrationnelle à vos valeurs perdantes. Nul ne veut admettre avoir fait une erreur. Mais si vous ne vendez pas une erreur, vous abandonnez potentiellement le gain que vous auriez pu obtenir en investissant intelligemment.
La comptabilité mentale
(…) Un dernier aspect de la finance béhavioriste est ce que les psychologues ont coutume d’appeler la comptabilité mentale… Une situation simple illustrera le phénomène.
Imaginons que vous reveniez d’une soirée au cinéma avec votre épouse. Vous mettez la main à votre portefeuille pour payer la baby-sitter, et c’est alors que vous découvrez que le billet de 20 dollars que vous pensiez avoir n’y est plus. Donc, en raccompagnant la baby-sitter chez elle, vous vous arrêtez devant un distributeur de billets et retirez 20 dollars. Plus tard, vous retrouvez le billet de 20 dollars que vous aviez égaré dans la poche de votre blazer.
Si vous vous comportez comme la plupart des gens, vous réagirez en vous frottant les mains. Ces 20 dollars, c’est comme de l’argent gagné. Bien que ce billet-là et celui que vous avez remis à votre baby-sitter proviennent de votre compte bancaire, qu’ils représentent l’un et l’autre de l’argent que vous avez gagné à la sueur de votre front, ce billet retrouvé représente de l’argent que vous ne pensiez pas avoir, et cela vous donne le droit de le dépenser à des choses superficielles.
(…) De la même manière qu’un aimant puissant rassemble les pièces métalliques situées alentour, votre niveau de tolérance au risque rassemble tous les éléments de la psychologie de la finance. Les facteurs psychologiques sont abstraits ; et ils prennent une forme concrète dans les décisions que vous prenez au jour le jour à l’achat et à la vente. Et le fil conducteur commun à toutes ces décisions est la façon dont vous ressentez le risque. »
Fin de la citation.
Alors comment gérer ses émotions ?
Cette partie profondément humaine des « investissements » est passionnante et nous pourrions citer beaucoup d’études sur les biais psychologiques influant nos décisions d’investissement.
Nous pourrions aussi épiloguer sur l’égo qui peut à l’inverse de l’aversion au risque apporter un excès de confiance en soi sur la prise de décision et donc la prise de risque. Cela est davantage vrai en période « d’euphorie ».
Sur les deux dessins très explicites que je vous invite à voir ici, vous pouvez observer dans le premier le comportement standard des investisseurs qui achètent lorsque les marchés sont hauts et vendent lorsqu’ils sont bas alors qu’il faudrait idéalement faire l’inverse, comme vous pouvez le voir dans le second.
Ce fonctionnement très typique de la « foule », accentué par les médias et les ragots du café, peut nous donner une information intéressante sur le niveau d’euphorie ou de déprime des marchés et permettre de relativiser notre propre aversion ou propension au risque à un moment donné, ce qui nous permettra in fine de prendre des décisions adéquates.
Il est toutefois difficile de séparer nos émotions de celles de la « foule » et d’éviter l’effet moutonnier qui en découle.
« Les marchés haussiers naissent dans le pessimisme, grandissent dans le scepticisme, mûrissent dans l’optimisme et meurent dans l’euphorie.«
Sir John Templeton. Cette phrase résume parfaitement « l’esprit de la foule » et peut vous aider à situer où en est un marché.
Retenez surtout que ce sont nos propres tendances émotionnelles qui sont à fuir absolument.
Trop d’émotions ? Cherchez de la rationalité !
Il est toutefois possible d’empêcher en partie ses émotions de prendre le pas sur ses décisions d’investissement en introduisant des éléments de rationalité. Vous pourriez par exemple établir un profil d’investisseur permettant de clarifier certains points tels que :
- être au clair sur ses objectifs de vie et les objectifs pour son patrimoine,
- investir de manière automatique et systématique,
- vous donner un horizon de temps cohérent avec vos objectifs et les risques historiques des actifs investis,
- réfléchir en termes de probabilité,
- couper vos pertes ou prendre vos gains à certains niveaux etc.
Votre conseiller financier doit pouvoir vous aider à mettre en place ces éléments pour que votre patrimoine vous permette d’atteindre vos objectifs de vie et votre indépendance financière.
Une autre recommandation Pour augmenter sa sécurité est de conserver en « liquide » quelques mois de salaires auxquels vous pouvez ajouter les dépenses planifiées des trois prochaines années (rachat chaudière, voiture…).
Enfin, vous pourriez gagner en sérénité et vous passer de profil d’investisseur si vous épargnez de manière systématique (un pourcent du salaire par exemple) et si vous n’investissiez qu’à long terme (à propos : fuyez le court terme).
» Vous ne pouvez pas exercer de contrôle sur le marché. Vous devez essayer d’enclencher le pilote automatique de manière que vos émotions n’aient pas raison de vous. «
Burton G. Malkiel
Lors d’un prochain article – et pour conclure cette série sur l’indépendance financière – j’aborderai la « réalité » des marchés et ce qu’implique la volatilité sur vos rendements.
Et vous ? Êtes-vous plutôt conservateur ou téméraire ? Voyez-vous d’autres biais psychologiques ou d’autres éléments rationnels pour éviter les prises de décision émotives ? Partagez les en commentaire 😉