Il y a une chose dont je suis certain : un jour, je disparaitrai. Cette affirmation fait naître tout un tas de questions qui, j’en suis sûr, vous taraudent également l’esprit si vous avez des enfants et/ou un partenaire de vie. Alors même si Google a fait du combat contre la mort l’un de ses axes prioritaires de travail, l’absence de résultat probant – pour le moment 🙂 – « m’oblige », en qualité de parent, à planifier ma succession.
Planifier correctement sa succession est un thème vaste. Je vous propose ici d’apporter des lumières sur les cas de décès d’un parent ou de décès simultanés des deux parents. Je ne traiterai donc pas dans cet article des donations ou de la fiscalité.
Pourquoi planifier sa succession ?
Selon un article du journal Le Temps, que vous trouvez ici, 77% des suisses estiment qu’un testament est très important mais ils sont seulement 27% à en rédiger un. Lorsque l’on pense « succession », le testament nous vient tout de suite à l’esprit. Il n’est pourtant qu’un élément d’une succession correctement planifiée.
Une succession réfléchie doit servir plusieurs objectifs. L’idée de faire un plan sur les actions à entreprendre en cas de décès est non seulement d’offrir à sa famille la sécurité et la tranquillité d’esprit sur des questions complexes et rarement abordées, mais également de procurer une suite d’étapes sur l’attitude que doivent adopter les survivants, le reste de la famille et les représentants de la société que sont les juges, les notaires et les curateurs.
L’aspect sécuritaire pour la famille est une notion large et individuelle, pouvant inclure de « garder un toit sur la tête », d’assurer une certaine éducation aux enfants, de répartir équitablement le patrimoine entre tous les membres de la famille ou encore de protéger le conjoint survivant d’une distribution trop précoce du patrimoine.
Après une disparition, un monde nouveau rempli d’inconnues, de contraintes juridiques, administratives et fiscales s’ouvre aux survivants. Les informer sur les actions à entreprendre quant à la répartition du patrimoine ou à la gestion des affaires patrimoniales permettra d’alléger leur charge émotionnelle dans un moment où la douleur risque de prendre le pas sur la rationalité.
Enfin, planifier sa succession doit également permettre d’éviter ce que beaucoup de familles vivent et redoutent au moment de la répartition de l’héritage : les querelles.
La loi sur les successions
Au delà des objectifs propres à chacun, le législateur a prévu des lois. Elles sont probablement justes, mais par mesure d’équité entre les héritiers, la justesse ne répond pas forcément aux objectifs de votre famille cités plus hauts.
L’équité ne répond par exemple pas à cette question : après le décès d’un parent, où irait vivre son conjoint survivant dans le cas où l’un des enfants réclamerait sa part d’héritage, formée en partie de la maison familiale ?
Il faut également noter que pour des enfants mineurs, ce sont les juges et les curateurs qui désigneront les tuteurs et la façon d’utiliser le patrimoine pour les enfants. Vous êtes-vous déjà posé la question de où pourrait « atterrir » vos enfants si vous et votre conjoint disparaissiez ?
Il est pourtant possible d’orienter au maximum ces éléments, sans violer la loi, notamment grâce à un contrat de mariage, un testament, un pacte successoral ou un mix de ces derniers.
Liquidation du régime matrimonial, succession légale, parts réservataires et quotité disponible
Avant d’aller plus loin, je me dois de préciser ce que dit la loi sur la répartition du patrimoine en cas de décès. La succession légale est la règle si aucun acte (un testament ou un pacte successoral par exemple) ne la contredit.
Pour un célibataire avec enfants, ces derniers seront les uniques héritiers. Sans enfant et sans testament, les parents sont les héritiers légaux. Ces derniers ont une part réservataire de 1/2. Cela signifie que notre célibataire pourrait faire don de la moitié de sa fortune.
Pour un défunt marié ayant des enfants, il faudrait dans un premier temps procéder à la liquidation du régime matrimonial (dissolution du mariage). Ceci a pour effet d’attribuer à chacun des époux sa part de fortune personnelle. La succession peut avoir lieu dans un second temps. Le patrimoine du défunt est alloué, selon la succession légale, pour moitié au conjoint tandis que l’autre moitié reviendrait aux enfants. Dans un tel cas, la part réservataire du conjoint se monte à ½ et celle des enfants aux ¾ de leurs parts.
La révision prochaine du code civil devrait diminuer les parts réservataires et s’adapter aux situations de familles plus actuelles comme les familles recomposées ou monoparentales.
Vous pouvez tout à fait modifier cette répartition tout en respectant les parts réservataires. Essayons d’y voir plus clair dans l’exemple ci-dessous.
Un cas concret de succession
Monsieur décède et laisse une épouse avec deux enfants. Le couple possède un patrimoine de 200.- francs qu’ils ont constitué ensemble – à force de travail 🙂 – depuis leur mariage (c’est ce qu’on appelle les acquêts).
En cas de décès, le régime matrimonial est dissous. C’est à dire que l’on procède à une liquidation des biens comme pour un divorce. Son épouse récupère sa part de 100.- correspondant à la moitié des acquêts puis intervient la succession, c’est à dire la répartition du patrimoine du défunt.
La part de Monsieur est de 100.-. La succession légale prévoit de verser 50.- à son épouse et 50.- à ses enfants. Monsieur pourrait avoir fait modifier ces points en amenant par exemple son épouse à sa réserve de ½ correspondant à 25.- (la moitié de sa part) et ses enfants à 37.50 (¾ quart de leur part) soit 18.75 pour chacun des enfants.
Vous êtes toujours là ? Un cas plus proche de la réalité et forcément moins facile 😉
Imaginons maintenant que les 200.- de patrimoine de notre couple soit composé de 160.- de maison (résidence principale) et de 40.- de liquidités.
Dans le cas de la succession légale, les enfants pourraient réclamer leurs parts, se montant à 50.-, avec le hic évident qu’il existe un manque de liquidités puisque nous sommes en présence d’immobilier.
Notre couple pourrait prévoir de réduire les enfants à leurs réserves de 37.5, permettant à Madame de conserver la résidence principale et un peu de liquidités, et ce même si les enfants venaient à réclamer leurs parts.
Notons que les enfants ne sont absolument pas déshérités puisque la succession « finale » aurait lieu au décès du second conjoint. Voyons maintenant les dispositions que vous pouvez entreprendre.
Faire un contrat de mariage
Sans contrat, le régime du mariage « par défaut » est celui des acquêts.
Pour faire simple, tout ce qu’un couple épargne pendant son mariage est un pot commun appelé acquêts. En cas de décès, le régime matrimonial est dissous et les acquêts sont répartis par moitiés entre les époux. La part du défunt est ensuite distribuée aux héritiers via la succession.
Les acquêts doivent être distingués des biens propres qui sont les biens acquis avant le mariage ou hérités de la famille. Les biens propres ne sont pas répartis entre les époux et tombent donc directement dans la succession (masse successorale).
Vous pourriez établir un contrat de mariage avec une clause désignant comme seul bénéficiaire – en cas de décès de l’un des conjoints – le conjoint survivant. Le conjoint serait ainsi protégé. Nous verrons plus bas que ce contrat devrait idéalement être complété par un testament.
Les couples mariés sous le régime de la séparation de bien ne forment pas d’acquêts. En cas de dissolution du mariage après un décès, seuls les biens propres du défunt seraient répartis via la succession.
Le régime de la séparation de bien est identique pour les couples au bénéfice d’un partenariat enregistré.
Le testament – idéal avec des enfants mineurs
Si vos enfants sont mineurs, rédiger un testament en complément du contrat de mariage cité plus haut peut être une bonne solution.
Un testament peut inclure un certain nombre de volontés qui – du moment qu’elles respectent la loi – peuvent préciser vos « dernières volontés ».
C’est ici que vous pourriez indiquer vouloir réduire vos enfants à leur réserve et attribuer le solde (la quotité disponible) à votre conjoint.
C’est également grâce au testament que vous pouvez désigner un curateur pour vos enfants en cas de prédécès de votre conjoint ou du décès simultané des deux conjoints.
La justice devra tenir compte de vos choix.
Le pacte successoral – préférable avec des enfants majeurs
Si l’entente est au beau fixe avec vos enfants, vous pourriez les inviter à accepter un pacte successoral.
L’avantage principal ici est de façonner la répartition du patrimoine comme bon vous semble. Chacun des époux pourrait s’attribuer 100% du patrimoine en cas de décès de l’un d’eux puis répartir le patrimoine au décès du second. Dans ce cas, votre conjoint serait assuré de passer ses derniers jours sans crainte de devoir se séparer de la maison familiale ou des revenus du patrimoine.
Nous vivons de plus en plus longtemps. Il y a quelques années, les enfants héritaient vers 40 ou 50 ans alors qu’aujourd’hui les successions interviennent bien plus tard. Il est aussi plus fréquent que des enfants disparaissent avant leurs parents. Rien n’empêche le conjoint survivant de faire des dons à ses enfants bien avant son décès !
Faites vous assister par un notaire
Votre situation patrimoniale et maritale est unique. Vos souhaits et vos objectifs le sont également.
C’est pourquoi je vous recommande vivement de vous faire assister par un notaire afin de vous aider à trouver la meilleure solution ou le meilleur compromis pour votre famille.
Il pourra rédiger votre contrat de mariage ou vous indiquer ce qu’il convient d’inscrire dans votre testament.
Il fera aussi office de personne extérieure « neutre » si vous souhaitez rédiger un pacte successoral avec l’avantage de répondre concrètement aux questions de chacun des membres de votre famille.
je n’ai pas de notaire !
Oui, bah vous passez très probablement tous les jours devant une étude notariale. Sonnez, entrez et posez vos questions. 🙂
Vous pouvez également trouver un notaire via internet ou dans les annuaires.
En Suisse romande, vous pouvez trouver un notaire ici : https://www.notaires.ch
Just for fun
Vous avez un amant ou une amante ? Vous aimeriez lui laisser quelque chose ?
Il y a un hic, car même si vous pouvez réduire les membres de votre famille à leurs parts réservataires, l’impôt se rappellera au bon souvenir de l’héritier qui n’a pas de lien civil avec vous. Comptez au moins 50% d’impôts dans le cadre d’une succession à une personne physique sans lien direct avec vous !
Attendez ! Il existe une solution 😉 le 3e pilier assurance dit « B » qui – s’il respecte un certain nombre de clauses – permet de désigner comme bénéficiaire la personne que vous voulez et cela avec une imposition allégée.
Evidemment au delà de la blague, toute personne n’étant pas votre conjoint (mariage ou pacte) et qui est hors parentèle (vos ascendants et leurs enfants ainsi que vos enfants et petits enfants – votre famille au sens large) pourrait bénéficier de cet avantage.
Pour conclure
Alors j’espère que ce fameux jour de disparition soit le plus lointain possible mais il pourrait très bien arriver demain. Pour vous je ne sais pas, mais laisser ma femme et mes enfants sans dernière disposition me laisserait – ou plutôt à eux 🙂 – un goût d’inachevé.
Il peut être intéressant de réfléchir au jour d’après pour vivre plus serein le reste de la vie.
Pensez également à envoyer la facture du notaire à votre protection juridique. Cette dernière peut prendre en charge une partie des frais.
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Et pour rigoler
Vous trouvez ci-dessous la scène mémorable chez le notaire, extraite du film « Les Trois frères ». Bonne rigolade.